Le journal d'Iza - Juillet et août 2020
Publié le 9 Septembre 2020
Iza est arrivée à la maison le 26 juin 2020 et Iza est ma nouvelle jument !
L’idée me trottait dans la tête depuis longtemps. Moussa avait déjà un très bel étalon, Sam, que nous voulions faire reproduire. De mon côté, j’avais toujours rêvé d’avoir mon propre cheval. L’occasion s’est enfin présentée lorsque Moussa, missionné par Djamballa, alla chercher un cheval pour le labour des champs de la grande famille. Un éleveur avait apporté quelques chevaux à vendre de l’autre côté du fleuve, à cette période où ils sont très recherchés par les petits paysans. Les éleveurs en tirent alors un bon prix, pour des bêtes souvent mal entretenues… mais les paysans n’ont pas le choix car sans cheval, le labour et le désherbage ne sont pas assez rapides et toute la future récolte de céréales et d’arachides est en jeu. Alors que la saison des pluies est de plus en plus courte et que les ruptures de pluies sont fréquentes, le moindre retard peut être fatal. Djamballa avait dû vendre une grande partie de sa fane d’arachide pour avoir les moyens de se payer un deuxième cheval, dont les prix varient ici entre 450 et 600€.
Arrivé dans son village natal de Souriel, près de Nétéboulou, Moussa rencontra l’éleveur qui lui proposa une grande jument grise pour Djamballa. Certes très maigre et peu habituée aux travaux des champs, mais en « bonne santé » d’après leurs critères d’évaluation. Lorsque Moussa vit une autre jument, toute petite mais tellement jolie, il se dit qu’elle était faite pour moi ! Il fallut se décider rapidement car une aussi belle jument serait surement rapidement vendue. Je fis confiance à Moussa, et après une brève discussion Whatsapp avec la famille, la jument était à nous. Une partie de mon héritage des prés de notre ancienne maison bourguignonne fut donc reconvertie en cheval sénégalais. Comme les chevaux d’ici n’ont pas de nom, je décidai de nommer ma jument Iza, en référence à sa robe Isabelle.
L’objectif de ce nouveau projet n’est pas seulement de se lancer un petit élevage, mais aussi de promouvoir des méthodes d’éducation douces et respectueuses du cheval. Depuis que je vis au Sénégal, j’ai toujours été très sensible aux mauvais traitements réservés aux chevaux, trop souvent mal nourris, surchargés, forcés, frappés, non soignés… bien sûr il y a des propriétaires qui savent prendre de soin de leur cheval, mais son bien être psychologique est rarement pris en compte et les méthodes d’apprentissage toujours brutale. La force est vue comme le seul moyen « d’éduquer » un cheval.
Bien que j’eusse pratiqué l’équitation (à un petit niveau) étant plus jeune, je n’ai jamais élevé de cheval et je n’ai pas d’expérience en travail au sol. Il s’agit donc d’un projet ambitieux où je dois apprendre en même temps que ma jument… un beau challenge comme je les aime ! Heureusement, Iza est plutôt docile et se laisse prendre en main facilement, malgré son éducation très basique.
L’arrivée au village
Le jour même, les deux juments furent conduites jusqu’à Kourientine, ou plutôt en face du village. Leur première épreuve fut de traverser le fleuve Gambie à la nage, seul moyen de rejoindre le village. 125m de large, et encore bien 3 ou 4m de profondeur même en cette fin de saison sèche ! Mais les villageois ont l’habitude, et avec l’aide des jeunes, tout se passa bien.
Une fois à la maison les deux juments restèrent ensemble, et se firent rapidement à leur nouvel environnement. Quelques poules et chèvres dans les pattes ne leur posèrent aucun problème, par contre l’orage qui suivit leur arrivée fut plus stressant. De plus, la présence de plusieurs étalons aux alentours fut délicate à gérer… mais il semblerait que Sam doive être un peu patient, car notre Iza, d’après le propriétaire précédent, serait déjà enceinte… A confirmer, mais ses ruades en direction des étalons est un bon indice !
Les deux juments attendent de l’autre côté du fleuve… elles doivent bien se douter de quelque chose !
Après une mise à l’eau un peu chaotique, les juments se retrouvent de part et d’autre de la barque, et les jeunes les aident en maintenant leur nez à la surface.
L’alimentation
Dès l’arrivée d’Iza, il fallut bien sûr s’occuper de la nourrir. En ce début d’hivernage, l’herbe n’avait pas encore poussé, et Iza fut mise au régime « Fane d’arachide » qu’elle sembla bien apprécier, sûrement déjà habituée à cet aliment. La fane d’arachide est le fourrage de base des équidés au village, donné à volonté. Cependant il n’est pas très équilibré et il faut des compléments, en herbe fraîche, pailles diverses, son, farines, tourteaux… je ne m’y connais pas encore assez dans ce domaine, il faudra que j’approfondisse mes connaissance pour la prochaine saison sèche.
Comme aliment concentré, les éleveurs locaux utilisent surtout le mil. Très énergétique, c’est un très bon complément pour les chevaux qui doivent travailler aux champs. Iza y a droit également, en petite quantité, pour diversifier sa nourriture. Et je peux vous garantir qu’elle adore… Au point de ne rien vouloir manger d’autre tant qu’elle ne pas eu son petit sac de mil !
La tête relevée, les oreilles bien droites devant, les naseaux frémissant, un petit coup de pied au sol, un petit hennissement d’excitation, c’est Iza qui me voit arriver avec le sac de mil !
Puis fin juillet, l’herbe commençant à grandir, Iza fut mise au pré avec les autres chevaux du village (une dizaine). Hélas il ne s’agit pas de la version idyllique des chevaux en libertés dans la verdure… d’une part il n’y a aucun espace clôturé, et d’autre part, il y a une majorité d’étalon. Je ne vous dis pas le champ de bataille si tout le troupeau était en liberté ! Chaque cheval est donc attaché à une corde (de 15 à 20m) fixée à un arbuste, et déplacé 3 à 4 fois par jour pour avoir de l’herbe fraîche à brouter en permanence. Les chevaux sont ramenés au village aux heures les plus chaudes pour boire, mais passent la nuit en brousse.
Traditionnellement, ce sont les enfants (d’une dizaine d’année) qui s’occupent des chevaux. Un enfant se voit attribuer un cheval pour la saison et doit s’en occuper entièrement. Il doit l’amener au pré, le guider au labour, le faire boire, le déplacer au pré… ce qui représente une grande partie du travail de la journée.
Pour mon Iza, c’est moi-même qui m’en occupe, de A à Z, au plus grand étonnement (voire offuscation) des villageois. « Mais pourquoi Moussa, qui a tant d’enfants, laisse sa femme toubab se fatiguer à s’occuper d’un cheval ? » Ah la la… Comment leur faire comprendre que justement c’est ça qui me plait ? Que c’est ainsi que j’apprends ? Que j’observe leur manière traditionnelle de gérer les chevaux ? Que je vois ce qui peut être changé ou amélioré ? Que je reconnais petit à petit les herbes appréciées des chevaux ? Que je crée tout simplement un lien avec ma jument en m’en occupant ?
Alors oui cela prend du temps, mais c’est essentiel pour moi surtout au début. Je suis bien sûr reconnaissante à Moussa de me laisser faire à ma façon malgré l’incompréhension de certains villageois. Et puis lorsque je ne suis pas là, le fils de Moussa, Bouba, s’occupe très bien d’Iza.
Une des herbes préférée des chevaux, le Dactyloctenium aegyptium. Il s’agit d’une herbacée très répandue qui se propage rapidement grâce à ses tiges rampantes, et qui forme des inflorescences facilement reconnaissables.
Les Sabots et le parage
Depuis que je m’occupe d’Iza, j’ai constaté qu’elle n’était pas à l’aise en marchant sur les quelques mètres de piste latéritique autour du village. Elle avançait précautionneusement en cherchant toujours les bas-côtés, et sa boiterie commençait à s’accentuer au fil du temps. J’ai donc cherché qui pourrait bien m’aider à regarder ses pieds de plus près, sachant que Madame n’avait jamais été parée, même par un maréchal-ferrant traditionnel.
Par un réseau de connaissances, j’ai fini par trouver Adama Thiam, un jeune maréchal-ferrant professionnel de Tambacounda, ayant suivi une formation organisée par l’Ecole vétérinaire de Dakar et le ministère de l’Elevage. C’était inespéré ! Adama est donc venu au village afin de faire un premier parage (sans ferrage) à Iza.
J’avais quelques appréhensions sur le fait qu’Iza accepte de se faire parer car si elle me donnait ses antérieurs plus ou moins facilement, je n’avais encore jamais réussi à lui faire donner ses postérieurs. Mais Adama a réellement bien assuré, avec douceur et professionnalisme, il a pu parer les 4 pieds d’Iza sans avoir recours à la force… même si Iza nous a fait quelques petites fuites de panique avec les postérieurs.
Pendant toute la séance, Moussa, Djamballa et une troupe d’enfants ont sagement observé le travail d’Adama, impressionné par son contact avec les chevaux et son refus d’utiliser la corde pour bloquer la tête de ma jument.
Adama fait quelques pas avec ma jument pour la mettre en confiance. Il le refera à chaque fois qu’elle perdra patience pendant le parage. Après chaque petite promenade, elle se laissera faire de nouveau.
Djamballa admiratif du travail d’Adama. Comme il le fera remarquer plus d’une fois pendant la séance… « A chacun son métier ! »
Je vous laisse constater la différence Avant/Après des antérieurs (photos prises quelques jours après)… il y a déjà sacrément du mieux ! Cependant, Iza reste très sensible des antérieurs. Je suppose que vu l’état initial de ses pieds, il faudra du temps et plusieurs séances de parage pour que ses pieds reprennent toute leur fonctionnalité.