Mon futur terrain : Etapes 1 et 2

Publié le 29 Décembre 2013

Mon futur terrain : Etapes 1 et 2

Lorsque je redigeai mon rapport de BPREA sur mon projet professionnel apicole, j'avais imaginé m'installer sur le terrain de mon ami Bocar Sow, au bord du fleuve Gambie, près du village de Gouloumbou. Tout en sachant que ce ne serait pas là où je m'installerai vraiment, mais il fallait bien prendre un exemple pour rédiger ce rapport et décrire le contexte socio-économique et environnemental de mon lieu d'installation. Je savais que Bocar m'autoriserait à utiliser son terrain pour un temps, mais cela n'aurait pas pu être durable, car il avait d'autres projets agricoles pour son propre terrain à sa retraite. Il me fallait donc un terrain à mon nom mais où... le problème ne pouvait être résolu depuis la France, il faudrait attendre mon retour au pays pour y songer vraiment.

Mais qui aurait cru qu'à peine deux mois après mon retour au Sénégal, je serai en train d'acquérir un terrain voisin de celui de Bocar, au pied du fleuve Gambie ? Je n'ose encore y croire bien que les choses soient maintenant bien engagées. Il reste encore un  long chemin à parcourir, mais voici le résumé des deux premières étapes que j'ai franchies avec succès, et qui me donnent beaucoup d'espoir pour la suite. Tout d'abord, une petite leçon sur le régime foncier au Sénégal, très différent de ce que nous connaissons en France...

Au Sénégal, les terres rurales (soit 95% des terres du pays) sont soumises au régime de la domanialité nationale. Il s’agit de l’ensemble des terres nécessaires à une communauté rurale pour l’habitat, la culture, l’élevage et les boisements (Faye, 2008). Le domaine national est détenu par l’Etat, qui définit au niveau national les règles de mise en valeur, et administré par les conseils ruraux sous la tutelle des sous-préfets. Ainsi, les conseils ruraux peuvent affecter et désaffecter les terres à des particuliers pour leur mise en valeur, mais il n’existe ni propriété privée ni de droit de succession. L’affectation est gratuite mais en contrepartie il y a une obligation de mise en valeur par la personne qui en a l’usage. Ce type de gestion du foncier, qui à l’indépendance du pays se voulait être un moyen d’accès à la terre pour tous, est au contraire peu sécurisant pour les agriculteurs qui peuvent subir des désaffectations de terres si le conseil rural cède devant des opérateurs économiques plus puissants.

A la législation s’ajoute la gestion traditionnelle des terres, qui n’a jamais cessé malgré la réforme du régime foncier. En règle générale, l’accès à la terre se fait par l’intermédiaire du chef de village, qui autorise l’exploitation par telle ou telle famille des terres entourant le village. Au delà de ce dernier, dans les savanes et forêts, c’est le droit d’usage qui s’applique pour les produits de cueillette et les produits forestiers.

Claire Clément, Projet d'installation, Rapport de BPREA - 2013

Première visite cette année, repérage des terres villageoises. Sur la Land : Ibou Fall (à gauche) et Mame Mor Fall (à droite), mes deux accompagnateurs lors des visites. Autour : les fils du chef du village et de l'imam

Première visite cette année, repérage des terres villageoises. Sur la Land : Ibou Fall (à gauche) et Mame Mor Fall (à droite), mes deux accompagnateurs lors des visites. Autour : les fils du chef du village et de l'imam

Deuxième visite sur le futur terrain, Mame Mor Fall et Bocar Sow (à droite) commencent les négociations avec le chef du village (au centre) et ses fils (à gauche)

Deuxième visite sur le futur terrain, Mame Mor Fall et Bocar Sow (à droite) commencent les négociations avec le chef du village (au centre) et ses fils (à gauche)

Avant de partir en France, j'avais déjà visité deux fois le terrain de Bocar, le première fois seule, et la deuxième fois avec ma mère et mon mari. J'avais trouvé ce terrain magnifique et idéal pour l'apiculture : les abeilles butinaient en masse le long du fleuve, et des essaims se trouvaient un peu partout dans les abres... un vrai paradis ! Ce terrain avait été donné à Bocar par la communauté rurale pour le remercier de son appui pendant de nombreuses années, dans le cadre de son travail en tant que zootechnicien du PROGEDE. C'était une vraie chance, mais il n'avait malheureusement pas assez de temps à consacrer à sa valorisation pour le moment. Ce terrain se trouvait non loin du petit village de Kourientine, coincé dans une anse du fleuve Gambie et à deux pas de la frontière gambienne. Un site enclavé, à 15km du goudron, mais qui bénéficie maintenant d'une route latéritique en très bon état. Nombreux sont aujourd'hui les "entrepreneurs" qui souhaient avoir un bout de terre au bord du fleuve, pour y faire de la banane ou du riz (non bio évidemment), mais la place se fait rare.

Tentant le tout pour le tout, je demandai à Bocar de m'introduire auprès du chef de Kourientine, afin de voir si, par hasard, il resterait une petite place disponible pour moi. A mon arrivée, le chef se souvint de moi, demanda même des nouvelles de ma maman et de mon mari, et écouta ma requête avec intérêt. Vous imaginez bien que je n'étais pas seule dans cette aventure, mes amis Mame Mor et Ibou étaient là pour expliquer et traduire... du français ou wolof, du wolof au peul, et du peul au Sarakolé... tout un processus qui prend du temps ! Mame Mor expliqua donc au chef mon projet, de vivre ici, de monter une petite ferme, d'y faire de l'apiculture et d'autres petites activités agricoles, d'y fonder une petite famille...

Le chef prit ensuite la parole pour expliquer la situation actuelle. Il reste aujourd'hui très peu de terre dans la zone. La plupart ont été "données" à des fonctionnaires bien placés (dont mon ami Bocar...) et d'autres "appartiennent" à la fédération des agriculteurs de la communauté rurale de Sinthian Koundara. Je mets des guillemets car vous l'aurez compris, il ne s'agit pas de propritété privée mais de droit d'usage privilégié (voir l'encadré ci-dessus). En résumé, il ne reste aux villageois qu'une petite bande de terre cultivée près du fleuve, et une forêt dont la majeure partie est inondable pendant l'hivernage. Les fils du chef me firent ensuite visiter ces terres en me montrant les limites. De retour au village, le chef nous expliqua qu'il devait d'abord consulter tous les villageois pour savoir s'ils seraient prêts à me céder une partie de leurs terres. Nous partîmes donc ce jour-là sans savoir si oui ou non, j'aurais une chance.

Les parcelles villagoises cutlivées, près du fleuve Gambie (à droite).

Les parcelles villagoises cutlivées, près du fleuve Gambie (à droite).

Les champs arrivent tellement près du fleuve que les forêts galeries sont presque inexstantes.

Les champs arrivent tellement près du fleuve que les forêts galeries sont presque inexstantes.

Je dus patienter plusieurs semaines avant d'avoir des nouvelles du village. Mon ami Bocar me téléphona enfin en me disant que les villageois, qui jusqu'à présent attendaient le retour d'un des leurs, s'étaient mis d'accord... et ils souhaitaient me revoir !!! Nous partîmes donc une deuxième fois là-bas, avec Bocar lui-même, pour essayer d'aller plus loin dans les négociations. Ce jour-là, c'était hier.

Nous repartîmes directement sur le site, en compagnie du chef et de ses fils, pour voir concrètement quelle partie ils seraient prêts à me laisser. Nous avions convenu de 5ha, il fallait voir comment les placer. Par chance, le fils ainé du chef proposa exactement ce que j'avais en tête : avoir une petite bande de terre allant jusqu'au fleuve (pour y construire la maison et faire le maraîchage) et le reste s'étendant au fond dans la forêt (pour l'apiculture et l'arboriculture). Il proposa de me laisser la partie la plus fond, pour ne pas être gênée par les autres villageois venant faire leurs champs. C'était parfait !

Vint ensuite le moment délicat des "négociations". Je ne savais pas trop comment cela allait se passer... vous savez maintenant que les terres au Sénégal ne s'achètent pas... mais il est de coutûme de donner un petit quelque chose au village qui nous cède l'utilisation de ses terres, en compensation des terres perdues et pour faciliter l'intégration dans le village. C'était donc à moi de jouer. Bocar allait traduire, mais il fallait que je parle... ouf, quel stress !!! Bref, je me jetai à l'eau ; je remerciai le chef pour son accueil, insistai sur le fait que je voulais vivre ici, que je voulais faire travailler les jeunes du village, leur apprendre l'apiculture... je précisai aussi que je n'avais que peu de moyens, juste mes petites économies de volontaires... devais-je avancer une somme ? Je m'arrêtai là pour voir ce que le chef en penserait.

Le chef répondit que s'ils étaient aujourd'hui prêts à m'accueillir, c'était grâce à la démarche que j'avais entreprise. J'étais venue plusieurs fois avec mes amis, je m'étais adressée directement au village, et ils avaient pu discuter eux-mêmes de la situation... ce que jusqu'à présent ils ne pouvaient pas faire. Durant de nombreuses années, la communauté rurale avait affecté des terrains sans consulter les villageois, qui n'avaient alors aucun recours. On leur retirait des terres sans qu'ils puissent donner leur avis, sans savoir qui viendrait utiliser ces terres et à quelle fin. De nombreuses terres sont aujourd'hui affectées à des fontionnaires qui n'ont font rien...Mais moi j'étais venue leur demander leur avis... quel soulagement pour eux ! Et en plus je voulais vivre à Kourientine. En tant que future villageoise, ils ne pouvaient me réclamer quoique ce soit. Faire travailler les jeunes du villages serait bien sûr important, mais le chef n'aborda pas la question financière.

Dans la voiture revenant au village, je pus discuter plus ouvertement avec Bocar et Mame Mor, que me conseillaient-ils vu la tournure des choses ? Nous nous mîmes d'accord pour un don de quelques centaines d'euros, un peu de matériel apicole et des médicaments pour le bétail. Arrivé au village, Bocar pris le chef à part et lui expliqua ce que je pouvais mettre sur la table. Je ne pouvais pas entendre, mais Bocar me rapporta que le chef était content. Voilà donc comment les choses se sont passées. Grâce à mes amis qui surent bien me guider, Mame Mor, Bocar et Ibou et à la patience dont nous dûment faire preuve pour respecter les traditions locales.

 

La suite... pour bientôt j'espère !

Mon futur terrain serait au fond du site, dans la partie en jachère, puis dans la forêt sur la gauche. Le fleuve longe le terrain sur la droite.

Mon futur terrain serait au fond du site, dans la partie en jachère, puis dans la forêt sur la gauche. Le fleuve longe le terrain sur la droite.

La partie en jachère du terrain.

La partie en jachère du terrain.

Le terrain s'arrrête au bord d'un canal qui est inondé pendant l'hivernage. De l'autre côté du ravin, s'est le terrain de mon ami Bocar

Le terrain s'arrrête au bord d'un canal qui est inondé pendant l'hivernage. De l'autre côté du ravin, s'est le terrain de mon ami Bocar

Le fond du canal, un endroit qui me semble sympa pour passer les heures chaudes des mois d'avril et mai !

Le fond du canal, un endroit qui me semble sympa pour passer les heures chaudes des mois d'avril et mai !

Dans la forêt derrière, une zone ombragée où paraît-il les pintades aiment de reposer... intéressant... ;-)

Dans la forêt derrière, une zone ombragée où paraît-il les pintades aiment de reposer... intéressant... ;-)

Une petite pensée pour ma grand-mère qui aurait eu 100 ans aujourd'hui... et qui aurait adoré que je lui raconte cette histoire...

Rédigé par Claire

Publié dans #La vie là bas

Commenter cet article
J
Quand le rêve devient réalité que te souhaiter de mieux pour 2014 . Il me tarde d avoir l accord du C R (fin janvier en principe ) pour aller voir sur place . Tu semble regrouper pas mal d atouts sur le territoire décrit y compris le tourisme .quand aux abeilles c est la cerise sur le pain d épices . Bonne année bises Michelle et Jean Marie
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C
Bonjour Michèle, Bonjour Jean-Marie. Merci pour vos vœux. Je vous souhaite également une très belle nouvelle année, et j'espère que nous verrons bientôt sur le sol sénégalais. Je vous ferai visiter avec plaisir mes nouvelles terres ! Car comme tu le devines, tourisme naturaliste pourrait très bien s'y développer... ;-)
J
Hello Claire, <br /> je découvre avec une grande émotion cette nouvelle &quot;fracassante&quot; en ce début d'année 2014. Tu t'installes du côté de Gouloumbou !. Tu sais combien j'aime me retrouver à Gouloumbou et dans ses environs mais heu, Kourientine c'est où exactement ?<br /> Après cette bonne nouvelle, la mauvaise ; t'installer à cet endroit, sur la Gambie, c'est risqué, c'est sûr que tu me verras passer ! même si je sais maintenant que tu n'as pas vraiment besoin d'aide pour un inventaire de l'avifaune ! Amitiés. JJ Guitard
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C
Eh oui, je savais que ça te ferait plaisir Jean-Jacques ! Tu seras bien entendu le bienvenu pour venir voir les oiseaux de Gouloumbou... peut-être que la petite racaille me posera des problèmes d'identification ;-)<br /> C'est sur que près du fleuve, il y a de nombreuses zones inondables, mais de mémoire de villageois le terrain ciblé n'a jamais été vu inondé. Qui plus est, dans 5ha, je devrais bien trouver un endroit sans risque. Kourientine est au Nord de Gouloumbou, entre le fleuve et la frontière gambienne. Je mettrai une carte bientôt sur le blog...<br /> Bonne année à toi,<br /> Claire
A
Ravi que ton projet avance et de découvrir la vie de la communauté<br /> Bonne fete ee fin d année
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C
Merci Arnaud !
P
Merci Claire pour ces nouvelles, un foncier stable est un élément très favorable pour la suite de ton projet.<br /> J'en profite pour te souhaiter le meilleur pour la nouvelle année, et pour celles qui suivront...<br /> Bien cordialement.
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C
Bonjour Philippe,<br /> Tu vois, je me souviens de mes cours ;-)<br /> Il reste encore bien des étapes avant d'avoir une délibération à mon nom, mais si les villageois sont d'accord, il n'y a aucune raison pour que le reste ne suive pas.<br /> Je te souhaite également une très bonne année,<br /> Claire