Mon petit Noël à moi
Publié le 23 Décembre 2014
Depuis que je vis au Sénégal, les fêtes de fin d'année sont toujours assez déroutantes. Déjà de part le climat, car il bien difficile de s'imaginer Noël quand on fait du vélo en t-shirt par 30°C ! Déroutantes aussi parce qu'on est en pays majoritairement musulman, parce que les sapins ne courent pas les rues, parce qu'on ne trouve pas de papillotes à l'épicerie du coin, parce qu'il n'y a pas de concours de la maison qui a les lumières de Noël les plus ridicules... et j'en passe ! Mais vous me direz, on se fait bien à l'absence de ces petits détails qui alimentent les conversations le soir au coin du feu.
Finalement, le plus dur, c'est surtout de passer les fêtes loin de la famille, alors que personne ici n'a la moindre notion de ce qu'est Noël. Et combien de Noël j'en ai passé toute seule, à faire des tournées de Vanilly kipferl et de Spitz buben pour faire des petites boîtes cadeaux à offrir... puis me retrouver à tout manger toute seule parce que les sénégalais n'aiment pas les sucreries... l'année dernière encore, je m'étais obstinée à refaire mes petits gâteaux de Noël, sachant pertinemment ce qu'ils deviendraient ! Ah, la force des traditions...
Cependant, cette année, j'ai eu la chance d'avoir un beau cadeau de Noël en avance. Car le 14 décembre je partis sur mon terrain en compagnie de ma maman et de mon mari. Une visite inespérée tant le planning des agents des parcs est aléatoire, et j'ai bien cru que maman rentrerait en France sans avoir vu Seck... mais heureusement, tout se passa à peu près comme prévu. Cette visite était aussi symbolique puisque le 31 décembre prochain, Seck et moi fêterons nos 5 ans de mariage ! Eh oui, déjà 5 ans... j'ai moi-même du mal à réaliser que le temps passe si vite. 5 années pendant lesquelles les choses ont beaucoup changé pour moi : de volontaire de la coopération, je suis devenue jeune apicultrice sénégalaise.
Cette dernière année fut particulière car c'est en 2014 que je suis jetée à l'eau. Que j'ai tout donné pour m'installer en brousse et commencer mon projet de ferme permacole. Alors voilà, ce petit article tombe à pic pour vous faire un petit bilan plus personnel de ce qu'aura été pour moi 2014.
Je suis revenue au Sénégal en Octobre 2013, il y a donc 14 mois, après une durée équivalente passée en France pour me former à l'apiculture, la permaculture et la culture de spiruline. A mon retour, je n'avais aucune idée de la manière donc j'allais m'y prendre, ni même où j'allais chercher à m'installer, si ce n'est que je voulais rester dans la région de Tambacounda. Je savais aussi que mes économies me permettraient de vivre sans trop de problème pendant un an, le temps d'y voir plus clair.
Kourientine
Kourientine, c'est le nom d'un petit village Sarakolé situé au bord du fleuve Gambie, à quelques 12 kilomètres de Gouloumbou. Administrativement parlant, il fait partie de la communauté rurale de Sinthiang Koundara, et donc de la région de Kolda. Mais il est le village le plus éloigné et le plus au nord de la grande région casamançaise, et reste donc plus facilement accessible depuis Tamba (1h de route). J'ai découvert ce village par l'intermédiaire de mon ami Bocar Sow, qui "possède" un terrain là-bas. Je l'avais déjà visité une fois, et j'avais été impressionnée par les potentialités apicoles du site. Malheureusement, cette zone est très prisée par les producteurs de bananes, et les terres disponibles près du fleuve sont rares. Je rencontrai donc à nouveau le chef du village pour savoir s'il serait prêt à me céder un peu de terre. A ma grande surprise, ce dernier se montra très intéressé par mon projet de ferme apicole, étant lui-même un grand fan de miel. Il me céda sans hésiter 5 ha, et je promis en retour de les former aux techniques apicoles respectueuses de l'environnement et des abeilles.
Les dés étaient donc jetés, j'allais m'installer à Kourientine. Pourquoi là-bas plutôt qu'ailleurs ? Le Sénégal est grand, j'aurais pu me donner plus de temps pour prospecter un peu partout. Mais à un moment donné, il aurait toujours fallu faire un choix. Kourientine m'apparut comme un choix raisonnable correspondant à beaucoup de mes critères : près de Tambacounda et accessible par une très bonne route, suffisamment éloigné du goudron pour être tranquille, près du fleuve, bon potentiel apicole, loin du passage des transhumants, village accueillant et apparemment travailleur... que demande le peuple !
Je commençai donc petit à petit à me rendre au village, en minibus + vélo, pour formaliser les démarches de mon terrain (délibérations, visites aux autorités, délimitation...), puis pour réfléchir à mes premières actions. Le chef, Djambala, me donna une petite chambre dans leur maison, que je pus meubler petit à petit pour y faire mon petit chez moi, en attendant d'aménager mon terrain. On me nomma Aïssatou, me donna un père de substitution (Djambala) et une mère de substitution (Fatou, femme de Djambala) et on commença à me parler Sarakolé. Je vous rassure, je ne suis pas encore bilingue, je sais tout juste dire "je pars en brousse" ou "je pars à Tamba" !
Ainsi je pus découvrir un village comme je n'imaginais même pas que cela pouvais encore exister de nos jours. Un village quasi-autonome, vivant principalement de ces propres ressources. Ici, ni riz ni pain, on ne mange que du couscous. Couscous-arachide le midi, Couscous-arachide le soir, sans oublier la bouillie de mil nature le matin... Un peu de courge rôtie, du bissap vert sauvage, du poisson du fleuve pour agrémenter le tout selon la saison. Certes; ça parait rude, mais au moins c'est local, bio et garanti gluten-free ! Ils sont d'ailleurs très fiers de leur alimentation naturelle et de leurs connaissances traditionnelles des plantes. Pour l'anecdote, Djambala a une super recette purgative à base de miel et de graines de senna, qu'il utilise pour soigner tous les voisins gambiens, mangeurs de riz congestionnés... véridique !
A Kourientine, j'ai aussi découvert une autre mentalité, dont je n'avais pas l'habitude en venant du Boundou. Ici, pas de conflit, le village marche au consensus. Le village est tout petit mais mélange des Peuls fouta, des Peuls du nord, des Sarakolés, des Maliens et même un Bassari ! Ici, peu de migrants, le village ne se fait pas entretenir par l'argent venant du nord. Tout juste un appui pour améliorer le quotidien (moulin à céréales, panneaux solaires...). Ici donc, TOUT LE MONDE BOSSE DU MATIN AU SOIR !!! Les Sarakolés sont de grands cultivateurs : mil, maïs, niébé, arachide, courges, pastèques... et même les peuls bossent, comme quoi tout est possible ;-) Pas de glandouille sous le neem, personne ne réclame quoi que se soit, pas de question d'argent, personne ne me dit "Toubab donne-moi un cadeau" "Toubab donne-moi de l'argent"... bref, LE REVE !!!
Je ne pourrai terminer sans remercier Djambala et Moussa de leur appui quotidien. A chaque visite à Kourientine, les bras m'en tombent tellement ils se mettent en 4 pour moi. Déjà quand ils se déplacèrent en personne pour m'aider à faire mes papiers pour le terrain, sans jamais me demander quoi que ce soit en compensation, ni même payer les frais de déplacement. Quand Djambala envoya un gosse en Gambie pour faire réparer mon vélo, là encore sans me demander quoi que ce soit. Quand Moussa débroussailla intégralement les pourtours de ma chambre alors que je me démenai pour tracer toute seule un petit chemin pour aller à la salle de bain. Quand Moussa répara toute la salle de bain alors que j'essayais juste d'accrocher un rideau à la porte. Quand Moussa m'accompagna sur mon terrain pour débroussailler le chemin au coupe-coupe, des heures durant en pleine cagna... Dès que j'arrive Moussa est là, comme s'il était naturel que quelqu'un m'épaule. Je commence maintenant à comprendre le fameux "On est ensemble" sénégalais, qui malheureusement n'a plus la même valeur en ville.
Et qu'ai-je donc fait pour mériter toutes ces attentions me direz-vous... et bien pas grand chose, si ce n'est des petites attentions également. A chaque visite, je viens avec des fruits dans mon sac, autant qu'il en tient sur mon petit vélo. J Je leur ramène du miel venant d'ailleurs, pour goûter. Et puis, il faut dire, je leur ai offert à tous les deux une combinaison d'apiculteur avec tout le petit équipement de base : gants, bottes, enfumoirs et lève-cadre. Ils étaient alors comme des enfants qui ouvrent leurs cadeaux de Noël !
Le village de Kourientine, un village Sarakolé encore très traditionnel. Ici, le tressage de la paille pour en faire des cloisons dans les concessions.
ue Seck et moi ne vivons pas encore comme on pourrait l'espérer. Si l'on comptait le nombre de jour réellement passé l'un auprès de l'autre depuis notre mariage... non, il ne vaut mieux pas compter, ce serait déprimant ! Car depuis tout ce temps, Seck est toujours agent des parcs dans le Niokolo Koba, un mode de vie difficile mais qui lui garantit un salaire stable. Actuellement, Seck est en poste à Dalaba, un des postes les plus éloignés de Tamba. 23 jours par mois en brousse, sans réseau téléphonique, et à peine 7 jours de congés mensuels auquel il faut déduire les temps de voyage. Cela ne laisse pas beaucoup de temps pour gérer deux familles, faire des aller-retour à Dakar, et intégrer toutes les folles idées qui foisonnent dans la tête de sa femme toubab !
Heureusement, tout va bien malgré tout. Depuis que Seck a arrêté de fumer (il y a 2 ans maintenant) j'ai trouvé un autre homme ! Reste à lui faire intégrer plus de fruits et de légumes dans son alimentation, mais je suis patiente, je suis sure que j'y arriverai ! D'ailleurs, j'ai été contente de constater que pendant la mise en pot du miel, Seck a fini les seaux avec plaisir... ce qui était inconcevable aux temps où il ne se nourrissait que de cigarettes. Je suis déjà admirative qu'il soit arrivé à s'en passer seul, sans aide extérieure, et malgré les conditions pitoyables de vie en brousse dans le Niokolo. Félicitation mon amour ;-)
Mais rassurez-vous, la vie tambacoundoise reste très sobre et on ne peut pas vraiment dire que j'ai fait des folies en termes de loisirs cette année !
"Mye... tu es sûr de ton coup... un poisson d'eau douce ou un truc du genre...ouais, je te crois..."
aura aussi marqué mes débuts dans la consultance. Petitement et à travers quelques missions avec des amis, mais j'ai bien sûr apprécié de travailler quelques temps pour me faire un peu d'argent. J'ai tout d'abord eu la chance de faire une mission de diagnostic apicole dans le Sine Saloum, ce qui m'a permis de découvrir le miel de mangrove et de rencontrer des femmes apicultrices sénégalaises. Le réseau apicole est très développé dans le Sine Saloum, notamment à Toubacouta, car de nombreux projets ont appuyé l'apiculture depuis plus de 20 ans. Il y a d'ailleurs quelques artisans spécialisés dans le matériel apicole, ce qui est très dur à trouver au Sénégal.
Pendant l'hivernage, j'ai aussi eu la chance de retourner dans la RNC du Boundou pour une mission de suivi écologique. Toute une série de transects pédestres, de balades en moto, avec les écogardes de la réserve. Quoi demander de plus ! J'étais bien sûr très contente de revoir tout le monde et de suivre l'évolution du projet depuis mon départ. J'ai aussi pu, tout dernièrement, aider les apiculteurs de Koussan à faire leur récolte de novembre. Et ce en tant qu'apicultrice membre du GIE Limbam Boundou, non en tant que consultante. Enfin, être rétribuée en bouteilles de miel est quelque chose qui me plait bien, je vais commencer à creuser la chose...
Abdoulaye Kante, fidèle garde de la RNC du Boundou, entouré de ces derniers enfants : la plus grande Aissata, puis Jean-Guy à gauche, Romain à droite, et Claire au milieu... Il ne manque que Nathalie ! Et oui, de nombreux toubabs auront laissé leur trace dans la famille Kanté...
! Après toutes ces avancées, que vais-je devenir ? Mon terrain est là, prêt à être aménagé... mais il reste encore beaucoup de travail en amont. Je réfléchis en ce moment au design permacole de mon projet, ce qui n'est pas une mince affaire. D'autant plus qu'il s'agit d'un travail à faire avec toutes les parties prenantes, principalement mon mari, qui n'est pas encore suffisamment imprégné de tout ça pour le moment.
Bien sûr, maintenant que j'ai installé mes premières ruches, le travail apicole va commencer doucement. Mais comment vivre en attendant ? Comme épargner pour pouvoir construire un puits et une petite maison sur mon terrain ? J'ai fait duré mes économies aussi longtemps que je le pouvais, mais maintenant, j'arrive au bout du bout... alors que faire si ce n'est essayer de faire d'autres missions de consultance, ou de trouver un travail ? Facile à dire... Trouver du travail n'est pas évident au Sénégal. Alors bon, on verra bien ce qui arrivera. Ce qui me faisait peur l'année dernière devient de moins en moins effrayant, car je sais qu'au fond, je me débrouillerai bien d'une manière ou d'une autre. Les choses mettront surement plus de temps que prévu, mais ce qui importe est de garder le cap que je me suis fixée... Alors comme on dit ici, on se retrouve l'année prochaine, inch allah !