Première récolte à Kourientine et à Kirili
Publié le 20 Décembre 2014
Lors de mon petit séjour à Kourientine en septembre dernier, j'avais aidé les villageois à retaper quelques ruches à cadres récupérées d'un vieux projet et qui étaient restées sans soin pendant 2 ans. Certaines s'étaient peuplées naturellement, d'autres non... mais personne n'avait osé les toucher par manque de connaissance. Après une rapide visite de l'intérieur des ruches (première expérience éprouvante pour mes deux assistants Moussa et Hamady !), j'avais pu constater le problème : les ruches étaient pleines à craquer, et les abeilles avaient évidemment construit dans tous les sens, sans amorce, créant un imbroglio inextricable autour des fils de fer à nu. Nous récoltâmes alors quelques morceaux de rayons afin de libérer un peu de place : des rayons tellement noirs que le miel "propolisé" piquait plus que du piment !
Pour ne pas perdre ces colonies, malgré l'état pitoyable des ruches, j'avais décidé de casser quelques ruches vides pour en faire des hausses sur les 2 ruches les plus fortes. J'avais aussi cassé les cadres pour en faire des barrettes et fabriqué de nouvelles crémaillères afin d'espacer les barrettes aux bonnes dimensions. Nous posâmes les hausses telles quelles en transférant un rayon du bas en haut, pour aider les abeilles à monter. La période semblait idéale pour poser les hausses, les jujubiers étant en pleine floraison.
Trois semaines plus tard, nous retournâmes avec Moussa pour ouvrir les hausses... et quelle ne fut pas notre surprise en constatant que la moitié de chaque hausse était déjà construite et pleine de miel ! Moussa n'est revenait pas de la rapidité à laquelle les abeilles avaient travaillé, et cela lui donna de l'espoir pour une récolte prochaine. Nous attendîmes toutefois la fin de la floraison du jujubier, fin novembre, pour espérer une récolte maximale.
Les deux ruches avec leur hausse... les abeilles semblent apprécier, elles sont moins nombreuses à l'extérieur.
C'est donc plein d'espoir que nous nous préparâmes à notre première récolte à Kourientine. Par chance, la période coïncida avec la venue de ma mère, qui se fit une joie de nous accompagner en tant qu'observatrice, même si elle n'avait jamais eu d'expérience avec les abeilles, ni en Afrique ni en France. Moussa, fort de ses deux sorties précédentes au rucher, alluma l'enfumoir comme s'il l'avait fait toute sa vie, et pris l'initiative de récolter lui-même, en suivant mes conseils. La récolte se passa sans encombre, avec des abeilles certes un peu mécontentes mais pas agressives. Nous retirâmes les rayons plein de miel (à moitié operculé malgré tout) jusqu'à remplir un seau de 20L avec les deux hausses seulement ! Un miel bien clair dans des rayons tout neufs... la qualité serait cette fois-ci au rendez-vous.
La récolte en photo, grâce à mon assistante... merci maman ! ;-)
Le lendemain matin, l'atelier "extraction" débuta, avec les moyens du bord : seaux en plastique alimentaire, petit tamis en inox (ramené de France), et beaucoup d'huile de coude ! Il fallut tout d'abord libérer les abeilles qui étaient retenues prisonnières dans le seau de récolte depuis la veille. Ensuite, nous triâmes patiemment les rayons en retirant les abeilles engluées dans le miel... oui, je l'avoue, ce n'est pas génial, mais il est difficile de faire du travail propre sans tuer les abeilles avec de vielles ruches rafistolées ! Enfin, Moussa assure le pressage manuel des rayons au-dessus du tamis, en laissant décanter le miel gentiment.
A la fin du travail, nous récupérâmes 11,5kg de miel filtré sur les 14kg récoltés. Un beau score qui impressionna Djambala, le chef du village. Le miel fut ensuite laissé dans un seau afin que les impuretés résiduelles puissent remonter. Patience, il faudra attendre quelques jours (idéalement quelques semaines) pour obtenir un miel pur prêt à être mis en bouteille.
Le travail étant fini à Kourientine, Maman et moi nous rendîmes à Kirili en vélo, à 12 kilomètres de Kourientine, pour aider Abdoulaye Sarr à faire sa première récolte. Abdoulaye et son neveu Lamine, que je ne présente plus, possèdent en effet quelques ruches en banco au bord du fleuve Gambie. Pour Abdoulaye, il s'agissait d'une première, car il n'avait jusqu'ici pas été chanceux avec les abeilles. Il y a quelques années, il avait installé des ruches dans un champ, qui s'étaient remplies facilement... mais les abeilles furent toutes décimées lorsqu'un voisin peu scrupuleux pulvérisa des pesticides sur son champs. Abdoulaye recommença dans un autre champ, les ruches se peuplèrent également toutes seules, mais lorsqu'il vint pour récolter, il trouva que quelqu'un s'était déjà servi !
Voilà donc, plusieurs années plus tard, qu'il allait enfin faire sa première récolte. Sur 3 ruches peuplées, les deux premières colonies donnèrent quelques rayons seulement. Une ruche était même envahie de fourmis sous le toit. Abdoulaye commençait à désespérer et ne cessait de répéter "Mais il n'y a pas de miel, il n'y a pas de miel, tout ce temps là et rien à récolter !". Cependant, à la 3e ruche, les choses changèrent : les abeilles furent d'entrée de jeu plus agressives, et on découvrit enfin le jackpot : de beau rayons bien operculés ! Il fallut toutefois mieux s'organiser et agir vite : moi à la manipulation des rayons, Lamine à la brosse, Maman avec le seau pour récupérer les rayons. Abdoulaye lui-même, chargé de l'éclairage, se faisait littéralement bouffer les mains car il n'avait que des petits gants de jardinier. Il dut nous fausser compagnie plusieurs fois pour revenir courageusement afin de suivre les travaux... mais sa torche du diable était tellement puissante que je le chassai encore pour limiter l'agressivité des abeilles... le pauvre !
Après cette belle récolte sportive, nous rentrâmes à Kirili pour y passer la nuit. Alors qu'Abdoulaye et Lamine prirent la voiture, Maman et moi suivirent en vélo... les 3-4 km de piste ne nous faisait pas peur. Imaginez-nous toutes les deux, encore habillées en apicultrice et pleines d'abeilles, rouler en pleine nuit à la faible lueur d'une torche chinoise, sur un petit chemin de brousse inconnu... une expérience hors du commun, n'est-ce pas maman !
Le lendemain, nous commençâmes à extraire le miel comme à Kourientine... mais nous n'avions pas prévu que les abeilles nous rendraient visite ! En quelques minutes, nous étions envahis d'abeilles et nous dûmes arrêter l'extraction sous peine de noyer toutes les abeilles dans notre seau. J'avais moi-même les bras couverts d'abeilles, et je dus marcher au milieu des hautes herbes pour m'en défaire. Pas de piqure heureusement, mais un beau désordre ! Nous laissâmes donc Abdoulaye et Lamine se débrouiller avec leurs tas d'abeilles, et nous repartîmes à Kourientine en vélo. Plus tard, Abdoulaye nous raconta qu'il réussit à finir l'extraction de nuit sans encombre.
Récolte à Kirili chez Abdoulaye et Lamine Sarr... un conseil, n'attendez pas le lendemain matin pour extraire le miel !
Deux semaines plus tard, après un petit séjour apicole dans le Boundou, Maman et moi revinrent à Kourientine pour mettre le miel en bouteille. Cette fois-ci, nous étions accompagnées par mon mari, un événement rare dont je vous parlerai dans un prochain article (suspense...). Comme je voulais faire les choses bien et montrer aux villageois comment valoriser le miel, j'avais préparé des bouteilles étiquetées à l'effigie du village. Cette étiquette fit son petit effet, à tel point que le chef Djambala lui-même se mit à étiqueter les bouteilles !
Nous nous retrouvâmes donc tous autour de notre première récolte, bien contents du résultat. Djambala était vraiment ravi, car il n'avait jamais appris à faire cette "qualité de miel". Il avait pratiqué la récolte sauvage , avait appris certains aspects de la vie des abeilles, mais ses connaissances étaient somme toute limitées. Il me demanda même un soir, par l'intermédiaire de Moussa, s'il était vrai que lorsqu'une abeille pique elle meure... il avait entendu cela une fois, mais n'y croyait pas !
Djambala et Moussa ont maintenant vu que l'on peut récolter sans mettre le feu, donc sans tuer les abeilles (plus exactement en limitant les pertes...) et sans altérer la qualité du miel. Ils ont vu qu'avec peu de matériel mais beaucoup de patience, on peut réaliser un miel de qualité, bien présenté, près à être vendu. Pourtant, ce n'est pas l'appât du gain qui motive les villageois de Kourientine. Le miel, ils le gardent pour leur propre consommation et en conserve une petite quantité comme médicament.
Avant de repartir, Djambala regarda toute les bouteilles, parla à Moussa à voix basse, puis Moussa partagea la récolte en deux partie. Une moitié pour eux et une moitié pour moi, car même si les ruches étaient celles du village, nous avions fait le travail ensemble. Un geste qui me toucha, car je me sentis alors tout à fait accepté par le village, et je sus que j'avais choisi le bon endroit pour m'installer...