"Tulle arro kumba bane"
Publié le 7 Mars 2015
A peine rentrée de ma mission dans la RNC du Boundou, je reçus un coup de fil de Moussa, qui voulait savoir quand je viendrai au village. C'est qu'il avait une semaine de vacances entre deux clients (Moussa est pisteur dans le campement de chasse de Gouloumbou pendant la saison sèche), et il n'était pas question qu'il passe sa semaine à ne rien faire alors que mes ruches n'étaient toujours pas peuplées. Devant autant d'enthousiasme, je me dépêchai de finir mon compte-rendu de mission, de laver mes deux pantalons de brousse, et de faire quelques courses pour repartir en brousse aussitôt. Pas de le temps d'enlever les 10 cm de poussière dans la maison, le ménage attendra. Allez hop, le sac sur le vélo, et on repart !
A peine arrivée, Moussa m'annonça la bonne nouvelle : il avait fait le tour de toutes les ruches, et une de mes ruches kenyanes était peuplée !!!!!!! Ce qui donne en bon sarakolé "Tulle arro kumba bane" (les abeilles ont peuplé une ruche). Enfin, 4 mois après leur installation, des abeilles faisaient leur apparition sur mon terrain ! Je savais qu'en comptant simplement sur le peuplement naturel, cela prendrait du temps. Plusieurs mois voire plusieurs années si l'on compare avec le taux de peuplement que je venais de constater dans le Boundou. Je me disais aussi que la saison d'essaimage n'était pas encore là, compte tenu de la fraîcheur nocturne et des rafales de vents quotidiennes. Peut-être que cette colonie avait déserté un site moins favorable, ou avait été dérangée par des peuls de passage... Bref, on ne saura jamais, mais je vous présente mes premières abeilles officielles, et l'heureux parrain qui a la chance de les accueillir, j'ai nommé :
Pourquoi la ruche de Mamadou ? Ah, encore un mystère... peut-être parce que je venais de le voir à Tamba pour préparer notre prochaine mission dans le Boundou ? En tout cas, même si la colonie est toute petite, elle semble s'être bien installée. Les abeilles sont très calmes et se laissent facilement approcher, ce qui n'est pas étonnant pour une petite colonie. Pas question d'ouvrir la ruche pour le moment, car le moindre stress pourrait la faire déserter. Patience, nous verrons ce que ça donne dans plusieurs mois.
En attendant, il fallait s'occuper des autres ruches, car malheureusement, la plupart était bien trop exposée au soleil pour pouvoir attirer des abeilles. J'avais choisi les emplacements avec le plus grand soin, mais en pleine saison sèche, il est impossible de trouver suffisamment d'ombre sur mon terrain. la chaleur allait poser problème, d'autant plus que j'avais fait le choix de mettre des toits en tôle pour protéger les ruches de la pluie. J'avais aussi laissé un thermomètre dans une des ruches vides... qui était monté à 42°C en plein après-midi !
Voilà pourquoi j'avais prévu de faire des petits thially (abris en paille) au-dessus de chaque ruche, avec l'aide de Moussa. Concevoir un design pour les thially m'avait déjà pris 3 jours de réflexion à Tamba. Je me disais qu'en une semaine, on pourrait bien faire une partie du travail à deux et que je continuerais toute seule quand Moussa m'aurait montré comment faire. Bref, j'avais tout bien plannifié dans ma tête, j'étais prête.
Quand j'expliquai à Moussa mon idée le premier jour, il me dit : "Suis-moi", avec ce ton autoritaire typiquement sénégalais auquel je suis maintenant habituée. Donc je suivis Moussa sans me poser de question, et une demi-heure plus tard, la ruche de Seck avait son petit chapeau ! Le soir même, 10 ruches Warré avaient leur petit thially, et le lendemain matin, les 4 kenyanes aussi. Ben voilà qui s'appelle être efficace ! Si seulement mes apiculteurs du Boundou pouvaient en prendre de la graine...
La petite touche finale, le morceau de bois pour stabiliser le tout... et empêcher que les singes ne jouent encore avec la ruche ! Bande de petits voyous !!!!
Les ruches de Maman et Pierre, jusqu'à présent très bien abritées, se retrouvent en plein cagnard. Un petit thially et hop, problème résolu !
Du coup, comme en une journée on avait finit le programme de la semaine, il a bien fallu que je trouve une autre occupation à Moussa... sans vouloir abuser non plus, mais un grand thially serait vachement bien à l'angle du terrain non ? Pas de problème... "Suis-moi" et le lendemain soir, en une journée, un immense thially de 6x4m était debout pour accueillir de nouvelles ruches ! Pfffff, que demande le peuple ;-)
Un thially 100% naturel, avec des matériels locaux, même pas un bout de fil de fer... ça fait rêver hein ?
Et pendant que Moussa jouait du coupe-coupe et de la hache, il fallait bien aussi que je m'occupe. Parce que moi non plus faut pas me laisser inactive plus de 5 min sous peine de dépression, même par 40°C ! Donc lorsque Moussa n'eut plus besoin de petits bras pour tenir un poteau ou lui passer ses outils, je partis enfumer mes ruches avec les fruits du Piliostigma, connu pour attirer les essaims.
J'avais lu qu'en Afrique, les apiculteurs attiraient naturellement les abeilles en enfumant préalablement les ruches. La technique est la suivante : creuser un trou dans la terre, faire un petit feu avec de la bouse de vache et des fruits dont l'odeur attire les abeilles, retourner la ruche sur le feu et attendre que la ruche soit bien enfumée. Selon la zone dans laquelle on se trouve, on peut utiliser différents fruits. Ici, le fruit du Piliostigma me semblait tout indiqué, tellement la zone en est riche.
Je décidai toutefois d'aménager la technique en utilisant l'enfumoir et en enfumant les ruches directement sur place. Je le sentais moyen d'allumer un feu au sol en pleine saison sèche, avec les rafales de vents et les feuilles mortes à proximité ! Je ne sais pas si cela sera suffisant, mais au moins nous aurons testé.
Les fruits du Piliostigma reticulatum ("Barkewi" en pulaar, "Yahé" en sarakolé). Les fruits sentent délicieusement bons, je comprends les abeilles !
Ma technique d'enfumage à l'enfumoir... un peu de paille, une bouse de vache et on bourre avec les fruits du Piliostigma.
Le soir même, un essaim vient coloniser un trou dans un arbre... juste à côté de la ruche de Florence ! Y a de l'idée, mais il fallait viser un peu plus bas !!!
Pour finir, nous fîmes un tour dans le rucher de Moussa pour voir l'état des colonies déjà présentes dans les Langstroth. Les colonies semblent moins avancées que dans le Boundou, surement à cause de la fraîcheur près du fleuve. Mais elles préparent le terrain, et du couvain femelle est présent. Nous pûmes même récolter un petit rayon de miel tout frais, surement un miel de Combretum : doux, sucré, transparent... un délice, et une petite récompense pour tous nos efforts. Comme une ruche faible avait récemment déserté, nous la rapportâmes au village pour la nettoyer, et nous la plaçâmes cette fois-ci près du fleuve, sous un magnifique colatier.
A ce niveau, je suis sûre que vous vous dites tous : "Mais qu'est-ce que Claire ferait sans Moussa, c'est trop facile !". Eh bien justement, je me demande bien ce que je ferais sans son aide permanente et bénévole (je précise, ça rend le truc encore plus fou). D'un accord tacite, nous nous entre-aidons : je l'aide à gérer ses 7 ruches Langstroth, je lui apprend la vie des abeilles, et lui m'aide à gérer mes ruches. Moussa ne calcule pas, et moi j'essaye de ne pas le faire... mais j'ai toujours l'impression d'en demander trop !
Un soir, alors qu'on dinait avec une bonne salade fraîche du jardin (oui parce que Moussa il me fait préparer des plats spéciaux aussi...), Moussa me demanda comment se pratiquait l'apiculture en France. Sans entrer dans les détails, je lui expliquai les problèmes de mortalité des abeilles, la transhumance, les 200 ruches minimum pour être reconnu à la MSA... Un autre monde ! Mais au bout de quelques minutes, Moussa me regarda sérieusement en me disant : "200 ruches, c'est beaucoup... mais à nous deux, je crois bien qu'on peut en avoir 100 !". Eh bien moi qui espérais trouver un apprenti au village, je crois bien que j'ai plutôt trouvé un futur associé ;-)