Une semaine dans le Boundou (2)
Publié le 14 Avril 2015
En février dernier, j'étais retournée dans la RNC du Boundou afin de faire un état des lieux des activités initiées en partenariat avec le PNR de Millevaches en Limousin (voir l'article). En mars, j'y avais également passé quelques jours avec Abdoulaye, mon ami Fadé de l'ARD, et Nathalie du Conseil général de l'Isère. Nous devions poursuivre la sensibilisation des populations sur l'utilisation "normale" du fonds d'appui aux initiatives économiques (sous-entendu sans détournement d'argent ni d'objectif...), et préparer la mission de Jean-Marie du PNR de Millevaches au mois d'avril. Encore une belle mission, qui nous permit de reconstituer la fine équipe d'autrefois, mais sans photos ni article sur le blog... car les photos de réunions villageoises, vous en conviendrez, c'est un peu barbant !
Finalement, Avril arriva et Jean-Marie aussi. Nous partîmes donc tous ensemble pour de nouvelles aventures dans le Boundou pour une mission conjointe PNR Millevaches/CORENA : Jean-Marie, Fadé, le Capitaine Welle et moi, armés d'une provision de pastilles vichy et d'un gros rouleau de feuilles Padex, au volant de la vieille TATA étroite et non climatisée d'Emmanuel. Ah le Boundou quand tu nous tiens.... ;-)
Emmanuel, se demandant comment diantre passer le ravin menant au village de Goundafa... Heureusement, Mère Teresa nous accompagne sur le rétroviseur de la vieille TATA
qui répondaient aux critères du fonds d'appui et qui avaient montré leur motivation depuis le début du projet. Pour les besoins de la formation, nous décidâmes de travailler avec une femme, Mariama Keita de Didé, et un homme, Salif Sow de Ndiarendi.
En plus de ce travail, nous devions faire le point avec le village de Goundafa, qui s'était engagé à réaliser un poulailler scolaire. L'idée était de faire découvrir l'élevage de pintades aux élèves, et de générer des ressources financières pour l'école (fournitures scolaires, cantine...). Malheureusement, pour tout plein de "bonnes" raisons, le projet n'avait pas abouti, et Jean-Marie tenait à ce que nous puissions relancer le poulailler. C'est qu'on ne s'avoue jamais vaincu, non mais !
Je vous laisse donc découvrir notre petite semaine dans la RNC du Boundou, qui fut encore une fois un succès (oui je sais, on est trop fort) et porteuse d'espoir...
Le projet de Mariama et la formation à Didé
Mariama, plus souvent appelée Siré, est l'une des quatre épouses du Marabout de Didé. Bien qu'étant dans une situation financière plutôt confortable, elle s'attache à développer de petites activités économiques pour sa propre autonomie, et à aider les femmes de son village à travers un groupement féminin dont elle est la présidente. Mariama a été la première femme de la RNC volontaire pour l'élevage de pintades, en suivant la formation technique aux côtés des 14 hommes de la réserve.
Malgré sa volonté et son sérieux, Mariama subit de nombreux problèmes pour élever ses pintades, notamment des problèmes de prédation par les chiens du village. De plus, en visitant son poulailler, Mariama avait un jour trouvé un serpent qui lui était pratiquement tombé dessus ! Finalement, confrontée à la prédation des chiens et à la peur des serpents, Mariama se tourna vers l'élevage de poulets de chair. Elle continua donc de valoriser son poulailler en achetant des poussins de race hybride à Tamba, en les élevant à Didé avec une nourriture locale "fait maison", et en les vendant au village. Son projet actuel est de finir la construction du deuxième poulailler pour augmenter sa capacité d'accueil des poussins et vendre plus de poulets... son projet est-il bien pensé ? Est-il rentable ? C'est ce que nous allons voir...
Visite du poulailler de Mariama et du jardin des femmes de Didé
Nous sommes donc partis de l'hypothèse que Mariama pourrait élever 3 bandes de 80 poussins par an. Les poulets étant des hybrides, ils ne peuvent constituer un noyau de reproducteurs et la totalité serait vendue. Ce qui implique l'achat de nouveaux poussins tous les 3-4 mois, ce que Mariama peut faire facilement en se rendant à Tamba. Les coûts de réfection des poulaillers, de la clôture et des abris sont estimés à 150 000F, les frais de fonctionnement de 185 000F, et le produit de la vente des poulets à... 180 000F. Eh oui, car à Didé, difficile de vendre un poulet à plus de 2500F, un même poulet qui serait vendu à 4500F en ville...
Jean-Marie et moi commencions a sérieusement stresser Mariama avec nos calculs, mais heureusement, la nuit porte conseil, et le lendemain nous avions trouvé un moyen de rentabiliser l'élevage de Mariama en incluant la couvaison d'oeufs de pintades issus des autres élevages du village. Mais pour cela, il faudrait que Mariama mette de côté sa peur des serpents et accepte de recommencer à faire couver des oeufs.
La formation se déroula donc en détaillant les différentes options de Mariama pour rentabiliser son projet. L'objectif n'était pas de donner un projet tout fait à Mariama, mais de faire comprendre aux bénéficiaires que monter un projet économique n'est pas simple, demande du temps, de la réflexion et de nombreux ajustements. Je crois qu'en cela, l'exemple de Mariama aura été instructif ! Désormais, il ne s'agit plus de dire "donnez-moi de l'argent et je verrai bien ce que je fais avec", mais "voici mon projet, il coûte tant et j'ai besoin d'une aide de tant que je pourrais rembourser dans x mois".
Formation des bénéficiaires du fonds d'appui de la zone de Didé et Toumboura, en prenant l'exemple du projet de Mariama
Le poulailler scolaire de Goundafa
Entre nos séances de travail avec Mariama, pour lui laisser le temps de digérer nos calculs, nous nous rendîmes à Goundafa pour le projet de poulailler scolaire. Quelques jours plus tôt, j'avais pu joindre Bacary, l'écogarde de Goundafa, pour le prévenir que grâce à Jean-Marie et à son épouse Michelle, nous arrivions avec tout ce qu'il fallait pour redémarrer l'élevage. En effet, suite aux difficultés qu'avait eues Goundafa pour initier l'élevage de pintades, ils avaient tous deux souhaité aider personnellement le village pour reconstruire le poulailler.
Cependant, malgré l'annonce de notre arrivée, l'accueil au village de Goundafa fut quelque peu morose. Le chef était assis seul sous un neem de la maison, sans venir nous saluer, et quelques personnes seulement nous rejoignirent en attendant que Bacary ne revienne de Sansanding. S'en suivit de longues minutes d'attente sous le neem, à se regarder en silence et à se gratter la tête pour savoir comment s'y prendre. Pourtant, lors de mon passage précédent, tout le village s'était dit partant pour recommencer le poulailler scolaire...
Bref, Fadé utilisa toute la diplomatie dont il est capable pour expliquer notre venue, et miraculeusement, lorsque le chef compris que nous avions réellement apporté, en plus du matériel, 5 pintades dans le pick-up... toute leur méfiance se dissipa ! Les jeunes (anciens élèves) se regroupèrent et s'organisèrent en comité de gestion, Bacary, président des parent d'élèves, s'occupa de loger les pintades, et le chef se mit enfin à sourire ! Ouf on est sauvé ;-)
Installation des pintades chez Bacary, en attendant la reconstruction du poulailler scolaire de Goundafa
L'élevage de pintades selon Mamadou Diakhité de Toumboura
De retour de Goundafa, nous fîmes un petit arrêt chez Mamadou Diakhité, un des meilleurs éleveurs de pintades de la RNC. Il nous montra ses installations, toujours bien entretenues, et nous expliqua ses projets de développement. Chaque année, il conserve entre 6 et 10 pintades reproductrices, qui produisent des oeufs qu'il fait couver par des poules. Il obtient ainsi une centaines de pintadeaux pendant l'hivernage, qu'il vend ensuite au village au cours de la saison sèche.
Cependant, ses résultats sont très aléatoires selon les années, car la mortalité des pintadeaux est parfois très forte. C'est en discutant avec lui que nous avons imaginé renforcer les capacités de nos éleveurs en gestion sanitaire. Et pourquoi ne pas former quelques éleveurs de la zone comme conseillers techniques et agents sanitaires ? Le mois dernier, la maladie de Newcastle a fait des ravages dans tous les villages de la région, alors qu'il suffisait de vacciner les poules au bon moment. Une session de formation complémentaire est donc à l'étude, avec l'appui du CORENA.
Le poulailler de Mamadou Diakhité, encadré par des petits abris pour les poules couveuses, et des thially pour protéger de la chaleur.
Le projet de Salif et la formation à Koussan
Salif Sow est un agriculteur/éleveur du village de Ndiarendi, au Sud ouest de la RNC du Boundou. Il avait été l'un des rares aviculteurs débutant à réussir l'élevage de pintades dès la première année, et j'avais pu observer à l'époque son grand troupeau de pintades qui lui obéissait au doigt et à l'oeil. f perdit une grande partie de ses pintades l'année dernière, suite à un empoisonnement par pesticide. Le pauvre, il ne savait pas que les pesticides, qu'on appelle localement "Poison", pouvaient être mauvais... au moins maintenant, il en a la preuve et ne recommencera plus ! Mais peu de temps plus tard, un incendie ravagea son village et emporta le poulailler et le peu de pintades restant... Aujourd'hui, Salif est le seul des 3 aviculteurs de Ndiarendi, l'un ayant
L'exercice fut donc plus simple qu'avec Mariama, puisque Salif repart de zéro, et que la rentabilité d'un élevage de pintades est bien supérieure à celle d'un élevage de poulets de chair importés du Brésil (ce qui nous parait évident ne l'est pas forcément pour eux...). De ce fait, l'étude de cas fut plus participative, et tout le monde contribua aux calculs. Je n'avais jamais vu mes amis du Boundou aussi captivés par un cours magistral, on voyait presque des Fcfa briller dans leurs yeux ! Il faut dire que sous leurs yeux justement, les chiffres parlaient d'eux mêmes : élever des pintades est un sacré gain financier pour qui sait le faire. Du coup, chacun y allait de son petit conseil, et à la fin de la séance, ils se retrouvèrent tous sous le Danki de la concession pour discuter poulailler !
Formation des bénéficiaires de la zone de Koussan et Talibadji. Mamadou Fadé et ses Padex, c'est toute une histoire !
Chez Diapa Diallo à Koussan
Une fois les formations finies, Nous partîmes faire un tour du côté du petit hameau de Seno Thiekoye, à quelques kilomètres de Koussan. Diapa y vit pendant l'hivernage, et y cultive maïs, mil et courges. Il y conserve également sa volaille, bien à l'abri des épidémies de pseudo-peste aviaire. Jean-Marie voulait absolument voir ce qu'il restait du poulailler modèle que nous avions réalisé ensemble, et qui avait abrité les premières poules Limousine importées au Sénégal. Nous savions déjà que Diapa l'avait brûlé afin de lutter contre les insectes... tout dans la finesse notre Diapa !
Evidemment, voir les ruines du poulailler est un peu décevant. Mais voir les poules hybrides de Diapa est à l'inverse très encourageant. Car malgré tous les problèmes rencontrés, Diapa possède encore une 30aine d'hybrides Locale x Limousine qui se portent très bien. Ils sont d'un gabarit supérieur aux poulets locaux, résistent aux maladies et à la chaleur, les poules couvent bien... Les couleurs ne rappellent pas forcément la poule limousine, mais on voit qu'il ne s'agit plus de poules locales. Et les coqs... ils ont des ergots de fous !
Bien sûr, en continuant l'élevage à partir des mêmes individus, le sang Limousin disparaîtra petit à petit, et les caractères des hybrides disparaîtront aussi. L'idéal serait de ramener de temps à autres quelques sujets de race pure, afin d'arriver à fixer une race hybride résistante aux conditions locales. Le nom est tout trouvé : le poulet "Diapa", reconnaissable à ses grandes pattes... ;-)
Diapa nous montre son cheptel de poules hybrides (Locale x Limousine). Jean-Marie arrive même à faire rire Diapa !
Le Comité de suivi du Fonds d'appui
De retour du Boundou, nous nous arrêtâmes à Goudiry pour le comité de suivi du fonds d'appui. Ce comité nous permit de rencontrer les 4 maires de la RNC, dont 3 nouveaux depuis les dernières élections. La situation des premiers projets financés et de l'état des remboursements occupa une bonne partie de la réunion, les maires étant très préoccupés par les détournements de certains porteurs de projet. Heureusement, le taux de remboursement augmente un petit peu chaque jour, et nous avons bon espoir de récupérer la quasi-totalité des fonds d'ici quelques semaines.
Ces fonds seront donc de nouveaux disponibles pour de nouveaux projets répondant cette fois-ci à tous les critères d'attribution du fonds : des projets réfléchis et détaillés, respectueux de l'environnement, et non basés sur la spéculation. Si le principe semble aujourd'hui bien compris à tous les niveaux, il est évident que le montage des projets individuels reste difficile et qu'un accompagnement est nécessaire à chaque étape du processus. La réussite des projets dépend aussi de l'expérience et de la qualification des porteurs de projets, d'où l'idée de compléter les formations techniques en aviculture, apiculture et maraîchage, ce qui pourrait être envisagé via le CORENA et d'autres partenaires.
Comité de suivi du fonds d'appui. De gauche à droite et de haut en bas : Mamadou Welle (Conservateur de la RNC du Boundou), Aminata Sy (trésorière du fonds d'appui), Jean-Marie Roche (Conseil pour la Valorisation de l'Espace Rural de Millevaches, représentant du PNR de Millevaches en Limousin), Alassane Diallo (Maire de Koussan), Fode Seyni Diakhité (Maire de Toumboura et éleveur de pintades), Abdoulaye Kante (Animateur du CORENA), Baba Ndiaye (Maire de Dougué), Claire Clément Seck (Représentante du CVERM), Oumar Sao (Représentant des GIE de la RNC du Boundou), Abdarahmane Ba (Maire de Sinthiou Fissa et Président du CORENA), Mamadou Fadé (ARD)
Au cours de cette mission, nous avons pu constater une participation de l'ensemble des acteurs, qui semblent tous se retrouver dans ce projet de fonds d'appui. Les bénéficiaires, les élus, les partenaires, tous ont répondus à notre appel. Nous avons même été épatés par la mobilisation de tous les bénéficiaires, malgré les déplacements difficiles, et par leur ponctualité lors des réunions. Pas un seul retard de la semaine, pas un rendez-vous manqué... que demander de plus !
Doit-on attribuer cet engouement à l'aura de Jean-Marie ? Ou bien est-ce la transversalité du fonds d'appui qui permet de toucher toutes les populations de la RNC ? Nous ne le saurons jamais ! Quoi qu'il en soit, cette mission aura permis de relancer le processus du fonds d'appui à une période où les jeunes des villages tentent en masse l'immigration via la Lybie, et où les femmes sont de plus en plus seules dans les villages. Le fonds ne pourra pas aider tout le monde, mais si au moins quelques uns arrivent à monter une petite activité grâce à lui, alors nous pourrons remercier les donateurs du Nord qui depuis plusieurs années espèrent que leur geste sera utile.