Transects dans la RNC du Boundou
Publié le 11 Septembre 2015
De temps en temps, certains d’entre vous le savent, je retourne dans la RNC du Boundou pour donner un petit coup de main sur des missions diverses : écologie, apiculture, aviculture, fonds d’appui aux initiatives économiques... Juste de quoi suivre l’évolution de cette réserve que j’ai vu naître et grandir malgré les difficultés. Donc, en juillet dernier, j’y suis retournée pour participer à une mission d’inventaire des grands mammifères, en compagnie de Jean, le nouveau volontaire de la RNC du Boundou, de son amie Clémence et de tous les écogardes de la réserve.
L’objectif consistait à réaliser des transects pédestres (autrement dit, pour les non initiés, des balades toutes droites dans la brousse) et de répertorier à l’aide d’une tablette tactile et d’un GPS toute trace de mammifères se trouvant sur notre passage : observation directe d’un animal, empreintes, crottes, ossements, traces de grattage, etc. … Ces inventaires, non exhaustifs, permettent toutefois de confirmer la présence de certaines espèces difficilement observables, de mieux cerner leur répartition dans la réserve, et de comparer l’évolution de leur population en fonction des saisons. Ces transects, au nombre de 12, doivent être répétés chaque année et à 3 saisons différentes afin d’obtenir suffisamment de données à analyser.
Alors pour vous donner une idée de ce travail sympathique et riche en émotions (n’est-ce pas Clémence), voici un petit résumé en photo de ma dernière mission pendant laquelle j’ai réalisé 6 transects dans la partie Est de la RNC.
Premièrement, lorsque l’on part en transect, nous sommes accompagnés par 2 ou 3 écogardes que nous formons petit à petit aux méthodes de suivi écologique. Certains sont très doués pour repérer les animaux de loin ou identifier des empreintes. D’autres sont moins doués, mais montrent un bon potentiel. Par contre, on peut s'en douter, ils n’ont aucune notion de la « rigueur scientifique » et le "bon sens" leur fait souvent défaut.
Autant dire qu’il faut jouer à la maman en permanence : vérifier qu’ils ne portent pas de t-shirt jaune fluo, qu’ils n’ont pas mis de tong pour marcher dans les rochers, leur prévoir un petit goûter pour la pause… Il faut aussi leur expliquer patiemment que non, on ne doit pas crier quand on a aperçu un animal, on ne doit pas marcher dans des feuilles sèches qui font du bruit, on ne doit pas courir devant pendant que les autres sont encore à enregistrer les données d’avant… Parfois ils nous usent ! Mais souvent ils nous amusent, comme une fois où Omar et Dakel décidèrent de ramener quelques branchages pour leur moutons au village, et qu’ils se firent poursuivre par un troupeau de moutons transhumants affamés !
Nous avons aussi bien ri avec Oumar et les deux Samba, en rentrant du transect de Mania Dala, lorsque nous nous sommes retournés et que nous avons vu un ciel noir, mais noir !!!! 2 heures de marche sous une pluie battante, moi portant tout le matériel sous mon poncho et m’enfonçant dans la boue à chaque pas… puis moi encore conduisant péniblement la moto chinoise sous les éclairs et dans 30 cm d’eau, trempée comme une soupe car j’avais sacrifié mon poncho pour protéger le matériel… avec Oumar grelottant derrière moi en me disant « Non, pas la 3e, pas la 3e !!!! » et Samba qui répétait inlassablement « je vais demander une prime au CORENA, c’est trop dur le travail ! ». Ah là là, nos écogardes, quels farceurs !
Retour du transect de Mania Dala… Winter is coming… A moins qu'il ne s'agisse de la route du Mordor…
Bien sûr, ce travail n’est pas sans danger. Outre les risques de se fouler la cheville dans les rochers ou de tomber dans la boue en moto, les chances de croiser un animal dangereux sont bien réelles. Alors que jusqu’à présent je n’avais jamais été inquiétée par le moindre animal sauvage, le transect de Belly nous réserva une petite surprise. Un matin, en traversant un petit marigot entouré de fourrés bien denses, nous entendîmes un grognement provenant d’un buisson. Jean et moi, munis de notre appareil photo et poussés par la curiosité, nous nous approchâmes du buisson tout doucement, jusqu’à entendre bien nettement un autre grondement, rauque et puissant… « Une panthère ! s’écria un de nos écogardes, une panthère avec bébés !!! » Sans paniquer pour autant, nous rebroussâmes chemin en silence, je pris le temps de noter le point GPS, et nous continuâmes notre transect en tâchant de rester concentrés, même si j’avoue que nous n’étions plus aussi absorbés par les empreintes de phacochères après cette aventure !
Pour la première fois, je me suis trouvée à quelques mètre d’une panthère en liberté… une expérience mémorable !
Et entre tout ça me direz-vous, qu’est-ce que l’on voit pendant ces transects ? Eh bien pour ne rien vous cacher, on ne voit pas beaucoup d’animaux, ceux-ci étant bien sûr très craintifs vis-à-vis de l’homme. 90% des observations sont des indices de présence (empreintes, crottes…) et seulement 10% sont des observations directes : phacochères, ourébis, gazelles, civettes, chacals, babouins, patas et sans oublier notre panthère ! Pendant l’hivernage, le phacochère est sans surprise l’espèce la plus fréquemment rencontrée (60%), suivis par l’hippotrague rouan et la gazelle à front roux. Eh oui, notre petite gazelle que nous suivons depuis plusieurs années est toujours présente dans la réserve, ce qui confirme l’importance de la RNC du Boundou pour initier des mesures de préservation à son égard.
Voici quelques photos que j’ai réussi à prendre pendant cette mission, ce qui est déjà un exploit en soi. Essayez donc de photographier un animal qui part en courant à 100m de vous alors que vous tenez un GPS, une tablette et 2 appareils photos dans les mains !
Ourebi (Ourebia ourebi) dans la savane dense de Wendou Fodé. On le reconnaît à sa robe beige claire et à sa petite tâche noire derrière l’oreille. Première photo pour moi de cette espèce dans le Boundou ! Comme quoi tout vient à point qui sait attendre !
Chacal à flancs rayés (Canis adustus) au petit matin près de Koussan. A ne pas confondre avec le chacal doré (Canis aureus) également présent dans la RNC.
Les observations directes étant très rares, le gros du travail repose donc sur la détection des indices de présence. Pendant l’hivernage, les indices les plus fréquents sont les empreintes, qui marquent bien dans le sol mouillé. Il faut alors une bonne expérience pour arriver à identifier ces empreintes. Il faut comparer la taille, le nombre de doigts, la présence ou non de griffe, la forme générale… sachant que les espèces proches peuvent avoir des empreintes presque identiques.
Les écogardes ont souvent un bon niveau, grâce à leur précédente expérience de braconnier (Chut, faut pas le dire) mais ils font parfois quelques « bourdes » incompréhensibles… comme la fois ou un des Samba m’a affirmé que nous avions affaire à un « lion énervé » alors que l’empreinte ressemblait drôlement à celle d’un babouin ! Eh oui, l’imaginaire et la volonté de nous faire plaisir l’emportent souvent sur la rigueur professionnelle. Nous prenons donc systématiquement en photo les empreintes, ce qui nous permet de reprendre les données en cas de doute. Mais le travail est laborieux et l’identification à partir des photos pas toujours évidente…
C’est donc pour éviter ce genre d’erreur que j’ai pensé adapter un petit outil nommé « empreintoscope », composé de transparents sur lequel sont tracés les contours des empreintes de mammifères à taille réelle. Je n’ai malheureusement pas eu cette idée géniale toute seule, je l’ai juste empruntée à Emilie, animatrice nature, sur son super site « Eveil et Nature ». Elle y propose une version « faune européenne et canadienne ». Vous pouvez d’ailleurs télécharger son empreintoscope et ma version africanisée directement sur son site, merci Emilie !
Première utilisation de l’empreintoscope dans la RNC du Boundou, les écogardes apprécient !
Et voilà, vous connaissez maintenant tout le travail d’un écologue de brousse, qui nous fait bien passer pour des illuminés auprès d’une grande partie de la population, et pas qu’au Sénégal ! Je vous laisse pour finir avec quelques photos d’empreintes pour les plus intéressés d’entre vous. Et qui sait, la prochaine fois je photographierai peut etre une belle empreinte de lion énervé, ou même carrément une vraie panthère suivie de ses petits allant s’abreuver à la mare… on peut toujours rêver ;-)
Empreinte de céphalophe. Taille : 2 à 3 cm. Ce sont les plus petites empreintes d’ongulés au Sénégal. Il est difficile de distinguer les 2 espèces (céphalophe de Grimm et céphalophe à flancs roux) tous deux en photos..
Empreinte d’ourébi. Taille : 3 à 4 cm. La confusion est possible avec le céphalophe, bien que les empreintes soient un peu plus grandes et plus fines.
Empreinte de gazelle à front roux. Taille : 4 à 5 cm. Plus grande que les 2 espèces précédentes, on la reconnait facilement par sa forme bien arrondie, en cœur. La photo de la gazelle provient d'une piège photo placé dans la RNC du Boundou l'année dernière.
Empreinte de phacochère. Taille : 5cm. La plus fréquente des empreintes dans le Boundou… après celle du mouton ;-)
Empreinte d’Hippotrague rouan. Taille : 8 à 10 cm. Il s’agit de la plus grande empreinte d’ongulé dans le Boundou, on ne peut pas se tromper ! La photo de l'hippotrague a été prise à Anguili en 2008, depuis je n'ai jamais eu la chance d'en revoir malgré leurs nombreuses traces.
Empreinte postérieure de singe, certainement un Patas. Taille : 6 à 7 cm. Facilement reconnaissable à ses 5 doigts.
Empreinte de chacal. Taille 5 à 6 cm. 4 doigts et griffes bien marqués. La distinction entre les deux espèces de chacal est difficile.
Empreinte de ratel. Taille 7,5cm. Les 5 doigts et les griffes sont bien marqués, contrairement aux autres carnivores.
Empreintes antérieure et postérieure de serval. Taille : 4 à 5 cm. 4 doigts marqués et pas de griffe, ce qui est une caractéristique de tous les félins (sauf le guépard qui a des griffes semi-rétractibles)) ! La photo du serval a été prise dans le Ferlo en 2007, alors qu'il venant s'abreuver tous les soirs à la mare de Katané.
Je vous encourage vivement à visiter le site d'Emilie, qui propose plein d'idées d'anmination nature, et plein de jeux pour les plus petits. N'hésitez pas à vous inscire pour recevoir toutes les infos et télécharger les jeux.