Une année apicole au bord du fleuve Gambie
Publié le 20 Juin 2016
Depuis plus d'un an maintenant, j'ai pu suivre le peuplement de mes ruches et le développement des colonies, observer le cycle des abeilles près du fleuve, la floraison des espèces mellifères, croquer dans des rayons de miel, mettre en bouteille et vendre mes premiers litres de miel... mais j'ai aussi essuyé des échecs, fait de grosses boulettes et malheureusement perdu des colonies.
En cette fin du mois de juin, qui est le mois le plus difficile pour les abeilles dans mon coin de Sénégal, je ne vous cache pas que j'ai été un peu perdue à la vue de mes premières colonies mortes. Quel moment de solitude lorsque l'on ouvre une ruche kenyane que l'on soupçonne désertée et que l'on trouve un tapis d'abeilles mortes au fond. Ou lorsque l'on ouvre la première ruche warré peuplée et que l'on n'y trouve qu'une seule abeille sur un cadre sec...
Bref, je me suis dis que la meilleure chose à faire était donc de faire le bilan de cette saison apicole 2015-2016, en essayant d'apporter ma petite contribution à la pratique de l'apiculture en milieu tropical sec/humide. En effet, les expériences apicoles en Afrique sub-saharienne sont rarement relatées, ou du moins faiblement référencées, et il est bien difficile pour un débutant d'avoir une vision claire de ce qu'il doit faire et à quel moment. Evidemment, rien ne remplace l'expérience et l'observation, car la végétation et le climat sont très variables d'une région à l'autre, et le comportement des abeilles en est forcément affecté.
J'en profite pour inviter les apiculteurs à consulter le forum (en français) du groupe d'échange apiculture TECA lancé par la FAO. Il est pour le moment animé par Elsa, une ancienne volontaire que j'ai rencontrée à Lyon lors du Week-end retour des VSI. On y trouve des témoignages d'apiculteurs d'un peu partout dans le monde, sur des thématiques diverses.
TECA | Technologies et pratiques pour les petits producteurs agricoles
Technologies et pratiques pour les petits producteurs agricoles
De juillet à septembre 2015
Tout commença donc en juillet 2015, avec une première série de peuplement naturel de cinq ruches kenyanes au bord du fleuve. En effet, les colonies les moins bien protégées recherchent des abris plus sûrs pour passer la saison des pluies au sec. Mes ruches toutes propres et bien enfumées au Piliostigma (voir la technique ici) étaient donc une aubaine.
Première ruche kenyane peuplée et son évolution jusqu'à aujourd'hui. Il y en a du monde ! (Ruche de Mamadou Fadé)
Quand les ruches sont occupées par d'autres locataires...
Malgré nos efforts, mes ruches Warré restaient désespérément vides. Elles étaient bien propres et parfumées, comme les kenyanes, mais aucune abeille à l'horizon. Mes lectures m'apprirent que les abeilles ne volent jamais à moins d'un mètre du sol... à moins d'avoir une bonne raison. L'entrée de mes ruches Warré était à 40cm du sol. Surement beaucoup trop bas pour espérer attirer les abeilles.
Généralement, les abeilles volent entre 2 et 6m, ce qui explique pourquoi les ruches en Afrique sont souvent suspendues aux arbres. Comme faire de la voltige en combinaison apicole ne me tentait pas vraiment, j'eus l'idée de rehausser mes Warré en ajoutant un deuxième élément dessous, en intercalant un couvre-cadre entre les deux éléments et en condamnant l'entrée de l'élément du bas. Ce qui fait que l'entrée du 2e élément était maintenant à la même hauteur que celle des kenyanes (à peu près 70 cm) tout en gardant un petit volume. Et là enfin, bingo, 2 ruches Warré furent peuplées !
Ma première Warré peuplée ! Le trou de l'élément du haut sert d'entrée, l'élément du bas étant complètement fermé. Il suffit ensuite, lorsque la colonie aura rempli l'élément du haut, de retirer le couvre-cadre intercalé et ouvrir l'entrée du bas.
Début Octobre, il fallait presque nager pour rejoindre certaines ruches. Ce qui nous valus avec Moussa un petit épisode "Indiana Jones" : embourbés jusqu'à la taille, tentant de fuir les abeilles qui n'appréciaient pas vraiment les éclaboussures et la casquette orange de Moussa !
Mais plus de peur que de mal, les colonies supportèrent très bien d'avoir les pieds dans l'eau, et le fleuve ne monta heureusement pas plus haut que la moitié du support. Ayant déjà vu ainsi les ruches dans les mangroves du Sine Saloum, je ne m'inquiétai pas trop. Moussa me raconta quand même qu'un jour, il avait surpris des petits poissons devant l'entrée d'une ruche, sautant pour attraper quelques abeilles. Non mais oh, qu'est-ce que c'est que ces manières !!!
Pas de miel de jujubier cette fois-ci, zut. Heureusement, toutes les herbacées envahirent progressivement la brousse et fournirent du nectar et du pollen à foison aux abeilles. Sans compter les cultures villageoises. Enfin, les colonies étaient à fond ! Et à fond en particulier sur une grande herbacée aromatique, Hyptis suaveolens. Nous ouvrîmes les ruches en espérant récolter à la même période que l'année dernière, mais le miel n'étaient visiblement pas mature, et il y avait encore beaucoup trop de couvain. Patience... d'ici une quinzaine de jour le couvain operculé serait né et toutes les alvéoles déborderaient surement de miel...
La ruche Warré a l'avantage de pouvoir facilement s'accrocher en hauteur. Le volume d'un élément est parfait pour les essaims. Une fois l'essaim capturé, il suffit de la remettre au sol et d'augmenter les éléments en fonction du développement de la colonie.
Une curiosité : des abeilles se prenant de passion pour les fruits du Piliostigma. Que récoltent-elles ? Mystère ! On dirait une sorte de poudre blanche à la surface de la gousse, mais elles semblent l'asprirer plutôt que de la prendre en pelotte comme le pollen...
Les abeilles butinent les fleurs de fromager tombées au sol. Ici elles prélèvent le nectar, mais je pense qu'elles doivent aussi récolter le pollen.
Nous étions bien naïfs...
Abeille collectant le nectar du Neem (Azadirachta indica), arbre à ombre planté dans tous les villages.
Première ruche morte. Les abeilles sont sèches et forment un tapis au sol. Les rayons sont complètement vides et la fausse-teigne commence à se développer.
Et maintenant que faire ? Déjà se rassurer en se disant qu'il nous reste encore 14 colonies et que c'est toujours 14 de plus que l'année dernière. Se dire aussi que maintenant, nous maîtrisons mieux la technique de peuplement naturel, et que nous pouvons espérer repeupler rapidement les ruches désertées. Il nous reste encore quelques semaines pour nettoyer les ruches et les bricoler pour réduire les entrées au maximum. Car j'ai le sentiment que les colonies ont été poussées à la désertion à cause de la trop grande pression des ravageurs.
Nous avons enfin été confrontés aux limites du potentiel mellifère de notre site. Les abeilles près du fleuve sont souvent traitées de "faignantes"... elles auraient apparemment tendance à moins stocker de miel. Peut-être parce qu'il n'y a pas vraiment de période de miellée mais plutôt une floraison continue de plusieurs espèces en petite quantité ? Quoi qu'il en soit, nous avons tout intérêt à augmenter le potentiel mellifère à proximité immédiate des ruchers en plantant un maximum d'arbres mellifères : acacias, jujubiers, fromagers, manguiers, anacardiers...
L'hivernage approche, plantons des arbres !!!
PS : Que tous mes parrains et marraines se rassurent,
la prochaine récolte, elle est pour vous !
Enfin si le chef du village vous en laisse un peu...
Djambala Konaté, chef du village de Kourientine, grand amateur de miel ;-)