Kambeng Film – Les dessous de la Scène

Publié le 22 Février 2018

Kambeng Film – Les dessous de la Scène

En Mandingue, Kambeng signifie l’union, le fait de s’entendre. Kambeng, c’est aussi le nom d’une association du village de Dar Salam, à l’entrée du Parc du Niokolo Koba, créée il y a quelques années par mon amie anglaise Tabitha et son mari Oumar. L’idée au départ, était de sensibiliser la population à la préservation de l’environnement à travers plusieurs activités comme la création de foyers améliorés, la gestion des déchets, le compostage… La première étape de ces activités consistait à réunir la population autour d’un film documentaire en langue locale, expliquant les enjeux et les solutions proposées. Ces films étaient projetés le soir dans les villages périphérique du parc, à l’aide d’un vélo-vidéoprojecteur fonctionnant grâce à l’énergie du pédalage.

Ces projections furent tant appréciées que de fil en aiguille, l’association en vint à former un groupe de jeunes de Dar Salam à la production de film, en partenariat avec Purple Field Productions, une association anglaise spécialisée dans la production de films encourageant le développement communautaire dans les pays du Sud.

Après une première initiation en 2016, les jeunes du groupe Kambeng furent formés en 2017 à la production de film et équipés de matériel professionnel. Ils tournèrent un petit film nommé « Etat Civil » afin de sensibiliser les villageois à l’importance de déclarer les naissances pour obtenir facilement les pièces d’identité des enfants. Il s’agit d’un problème très important en brousse, car les enfants ne peuvent pas continuer leurs études sans papier.

En février 2018, le groupe devait être formé au montage et recevoir un ordinateur afin de leur permettre d’être autonome et de créer leurs propres films. Tabitha et Oumar ne pouvant être présent cette année, ils me demandèrent de les aider en assistant le formateur et en traduisant de l’anglais au français.

Un nouveau défi pour moi qui n’avais pas parlé un anglais convenable depuis très longtemps. Whatever, I said Yes ! Je révisai alors en regardant d’une traite en VO les 6 premières saisons de Game of thrones et hop, dans le mini-bus pour le Niokolo koba. A Tamba je rejoignis Phil, jeune producteur de Liverpool, et nous partîmes à Dar Salam où nous fumes accueillis par le jeunes du groupe. Nous fûmes logés dans le petit campement de Taby et Oumar, où nous héritâmes chacun d’une petite case en pierre et en brique de verre (Pfff, Oumar m’a encore piqué mon idée…).

Dar Salam, ses panneaux, sa grande route, ses camions de passage, ses pilonnes électriques qui ne donnent pas encore de courant…

Dar Salam, ses panneaux, sa grande route, ses camions de passage, ses pilonnes électriques qui ne donnent pas encore de courant…

Connaissant bien la brousse et ses problèmes, j’avais anticipé le plus important pour moi en apportant un sac rempli de bananes et d’oranges. Je commençais donc mon job d’assistante multifonction en préparant le jus d’orange du matin. Ça c’est bon, je maîtrise.

Par contre, mon boulot de traductrice me demanda plus d’effort. Phil eut l’air globalement de comprendre le sens de mes phrases, malgré mon accent frenchie, ma syntaxe hasardeuse et mon vocabulaire approximatif. Mais le plus difficile à gérer aura été de savoir changer de langue au bon moment. Il m’est donc arrivé plus d’une fois de m’adresser en anglais aux jeunes et de traduire en français à Phil. Ou encore de traduire du français en français (donc en gros répéter exactement la même chose avec conviction) jusqu’à ce que je comprenne mon erreur en voyant le regard perdu de Phil. C’est un travail qui demande une sacrée gymnastique cérébrale, et je pensai alors à mon ami Fadé qui pratique cet art en 4 ou 5 langues locales avec une facilité déconcertante. Respect !

Ma 3e tâche d’assistante fut de traduire à Phil le mode de vie sénégalais et les différences culturelles. Expliquer les différentes notions du temps, comprendre l’inertie locale, apprendre à attendre, encore attendre, toujours attendre, en espérant qu’un problème se résolve potentiellement de lui-même… car des problèmes, dans un petit village de brousse, vous imaginez bien que nous en avons eu à la pelle !

Petit campement de Tabitha et Oumar

Petit campement de Tabitha et Oumar

Tout commença pourtant très bien, et nous passâmes les premiers jours à travailler sur le storyboard du film, à visionner les scènes déjà tournées par l’équipe, et à tourner des scènes manquantes. Le groupe avait choisi comme sujet cette année les feux de brousse, et avaient eu l’opportunité de filmer un feu qui avait menacé le village le mois dernier. Il s’agissait pour eux et pour tout le village d’un sujet sensible, car Dar Salam avait entièrement brûlé une dizaine d’année plus tôt, et chacun en gardait un souvenir douloureux. Ils décidèrent donc d’utiliser cet accident pour sensibiliser les populations sur les dangers du feu et de les encourager à être plus responsables et vigilants.

Preproduction work. Storyboard. Script. Wide shot. Close up. Oui maintenant je parle comme une pro ;-)

Preproduction work. Storyboard. Script. Wide shot. Close up. Oui maintenant je parle comme une pro ;-)

Tournage de la scène de la cigarette… ou comment risquer de mettre le feu au village pour un film de prévention des feux de brousse… no comment !

Tournage de la scène de la cigarette… ou comment risquer de mettre le feu au village pour un film de prévention des feux de brousse… no comment !

Premiers exercices de montage sur le nouvel ordinateur fixe.

Premiers exercices de montage sur le nouvel ordinateur fixe.

Un premier des premiers problèmes que nous rencontrâmes fut l’importation des vidéos dans Adobe premier pro. Impossible d’y retrouver le son, et impossible de trouver une solution au problème malgré toutes les conversions possibles et inimaginables des fichiers. Il fallut donc se résigner à ré-enregistrer tous les sons sous forme de « Foley sounds » (bruitage en français).

Enregistrement des bruits de pas dans l’herbe sèche

Enregistrement des bruits de pas dans l’herbe sèche

Tentative d’enregistrement du cri de l’âne… waiting time… weird moment…

Tentative d’enregistrement du cri de l’âne… waiting time… weird moment…

Mouais, on repassera, ils ne braient jamais quand il faut !

Mouais, on repassera, ils ne braient jamais quand il faut !

Assé (mot de liaison très très fréquent en mandingue signifiant « ensuite »), c’est l’ordinateur qui commença à nous créer des problèmes. Plus exactement, le circuit solaire qui alimentait le campement n’était pas assez puissant pour le gros ordinateur, et ce dernier ne pouvait pas rester allumé plus d’heure par jour. D’autant plus que nous étions dans une semaine sans soleil (très étrange) et que la batterie ne se rechargeait pas suffisamment. Il fallut alors commander de nouveaux appareils pour booster le circuit électrique et attendre leur livraison.

Très vite, le beau planning détaillé de Phil passa à la trappe et nous organisâmes les activités en fonction des possibilités et de notre imagination. Bon, il faut avouer que pendant un temps, notre activité principale fut l’attente. Mais cela ne dura pas, car quand des toubabs s’ennuient dans la brousse, ils ne restent pas assis à prendre du thé toute la journée… non, les toubabs eux, ils inventent plein d’activités bizarres et parfois stupides… comme emprunter un vieux scooter déglingué et sans essence pour partir en brousse (on a bien poussé mais on a vu un hippo), faire voler un drone devant un essaim d’abeilles sauvages (même pas drôle elles n’ont rien dit), ou encore chasser les poules du village avec des cailloux…

Waiting time…

Waiting time…

Mais où est Phil ? Et où est l’hippo ?

Mais où est Phil ? Et où est l’hippo ?

Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ????

Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ????

C’est la première fois que je vois un drone, et c’est assez impressionnant

C’est la première fois que je vois un drone, et c’est assez impressionnant

Il bouge ses papattes et ses hélices tout seul… on se croirait dans Stargate avec une invasion de réplicateurs volants…

Il bouge ses papattes et ses hélices tout seul… on se croirait dans Stargate avec une invasion de réplicateurs volants…

African sunset shot. Cliché
African sunset shot. Cliché

African sunset shot. Cliché

Assé, malgré les multiples interventions sur le circuit électrique, la situation ne s’améliora pas. La seule solution pour finir le film à temps fut d’aller à Tamba brancher l’ordinateur sur le secteur. Nous passâmes donc la dernière semaine à faire des allers et retours en mini-bus entre Dar Salam et Tamba, et à enchainer les heures de montage derrière l’ordi.

Au bout du compte, nous réussîmes à finir le film à temps pour la projection au village du dernier soir. Un sacré soulagement et une victoire bien savourée. D’autant plus que nous aurons eu tellement d’épreuves à franchir !

6 x 80 = 480 km dans la semaine, soit 20 heures de route dans des mini-bus bondés… Hum, le rêve !

6 x 80 = 480 km dans la semaine, soit 20 heures de route dans des mini-bus bondés… Hum, le rêve !

En plein montage… Preuve que nous l’avons fait !

En plein montage… Preuve que nous l’avons fait !

Le soir de la projection, les femmes et les enfants vinrent chacun avec leur petit banc s’installer au bord de la route, appâtés par la playlist musicale préparée en première partie. Le film de 15 min, nommé KIMA (feu en mandingue), fut ainsi projeté devant tout le village deux fois d’affilée, sous les rires des enfants se reconnaissant au fil des images.

En fin de projection, l’imam prononça quelques mots. Il remercia les jeunes pour leur travail et souligna l’importance de la préservation de la brousse. D’autres notables s’exprimèrent sur ce qu’ils avaient aimé : la musique traditionnelle, les images du village, les dialogues mandingues, la mémoire de l’incendie, l’exactitude des situations décrites. De telles paroles marquent toujours les esprits, et les jeunes de Kambeng en furent très touchés. Il y a décidément une place pour les films de sensibilisation créés par les populations locales, qui savent mieux que quiconque comment toucher leurs congénères pour faire passer un message…

Malheureusement, le film n’est pas encore tout à fait prêt pour une large diffusion car il reste les sous-titres à intégrer. Mais j’espère pouvoir bientôt vous montrer le fruit du travail de cette bande de jeunes sénégalais si représentatifs de leur génération, jonglant continuellement entre la tradition ancestrale et la culture occidentale.

Projection du dernier soir avec le vidéoprojecteur à pédale… désolé, je n’avais pas de flash, je n’ai pas de photo de la projection digne de ce nom.

Projection du dernier soir avec le vidéoprojecteur à pédale… désolé, je n’avais pas de flash, je n’ai pas de photo de la projection digne de ce nom.

Pour Phil, qui découvrait l’Afrique pour la première fois, je crois pouvoir dire sans me tromper que ces trois semaines furent très enrichissantes et positives. Il accepta les problèmes techniques avec sagesse et supporta les petits imprévus du quotidien avec un flegme britannique tout à fait à propos.

Pour moi aussi, cette formation fut aussi un grand dépaysement, bien que Dar Salam ne se trouve qu’à quelques 150km de ma maison. Revivre les joies de l’organisation d’une longue mission dans un village sénégalais… je n’y avais plus goûté depuis longtemps ! Je ne sais pas si mon accent anglais en aura été amélioré, mais j’ai définitivement appris beaucoup de choses dans un domaine très différent. Je ne suis pas encore une pro du montage, mais je dois dire que cette initiation m’aura donné des idées… peut-être m’y mettrai-je un jour à Kourientine ?

Bon, à présent, il va falloir que je retrouve mes petites cases où m’attendent surement une cinquantaine d’araignées sous mon lit avec au bas mot 10cm de poussière au sol.

KAMBENG EDITING TRAINING 2018

Staring with…

Phil MacDonald, Liverpool, England. Producteur et monteur, spécialisé en film nature.

Phil MacDonald, Liverpool, England. Producteur et monteur, spécialisé en film nature.

Hamady Dandjo, Dar Salam, Sénégal. Responsable local de l’association Kambeng, et membre actif de tous les projets de son village, il aura organisé la formation avec une grande implication personnelle. Merci Hamady pour ton accueil !

Hamady Dandjo, Dar Salam, Sénégal. Responsable local de l’association Kambeng, et membre actif de tous les projets de son village, il aura organisé la formation avec une grande implication personnelle. Merci Hamady pour ton accueil !

Noumouké Kouyate, Dar Salam, Senegal. Chanteur, artisan, jardinier, Noumouké a l’âme d’un artiste et des idées plein la tête. Il aura guidé le montage du film du début à la fin avec un soucis permanent du travail bien fait.

Noumouké Kouyate, Dar Salam, Senegal. Chanteur, artisan, jardinier, Noumouké a l’âme d’un artiste et des idées plein la tête. Il aura guidé le montage du film du début à la fin avec un soucis permanent du travail bien fait.

Lassana Dabo, Dar Salam, Sénégal. Lassana, marié et père d’un jeune fils, il tient au petite boutique village pour supporter sa famille. Il aura aussi beaucoup participé au montage et pourra soutenir Noumouké dans les films futurs.

Lassana Dabo, Dar Salam, Sénégal. Lassana, marié et père d’un jeune fils, il tient au petite boutique village pour supporter sa famille. Il aura aussi beaucoup participé au montage et pourra soutenir Noumouké dans les films futurs.

De gauche à droite. Ibrahima Dione (Parc National du Niokolo Koba), Beau Ndiaye (Dakar), Abdou Cissokho (Dar Salam). Dione, chef de poste de Simenti dans le Niokolo kobal, il accompagne le groupe depuis l’année dernière et fait le lien entre l’association et le Parc. Beau, petit frère d’Oumar et en cours de formation en informatique, suit aussi Kambeng depuis un an. Abdou est le plus jeune du groupe, très joueur, il aura assuré naturellement le rôle de trublion.

De gauche à droite. Ibrahima Dione (Parc National du Niokolo Koba), Beau Ndiaye (Dakar), Abdou Cissokho (Dar Salam). Dione, chef de poste de Simenti dans le Niokolo kobal, il accompagne le groupe depuis l’année dernière et fait le lien entre l’association et le Parc. Beau, petit frère d’Oumar et en cours de formation en informatique, suit aussi Kambeng depuis un an. Abdou est le plus jeune du groupe, très joueur, il aura assuré naturellement le rôle de trublion.

Ibrahima Sanokho, Dar Salam, Sénégal. Solo, qui parle bien anglais, m’aura bien aidé à traduire au cours de la formation. Bon acteur, il n’aura pourtant pas eu trop de difficulté à jouer le rôle du fumeur dans la scène de la cigarette !

Ibrahima Sanokho, Dar Salam, Sénégal. Solo, qui parle bien anglais, m’aura bien aidé à traduire au cours de la formation. Bon acteur, il n’aura pourtant pas eu trop de difficulté à jouer le rôle du fumeur dans la scène de la cigarette !

Claire Clement, Kourientine, Sénégal. Traductrice officielle et assistante multifonction.

Claire Clement, Kourientine, Sénégal. Traductrice officielle et assistante multifonction.

Rédigé par Claire

Publié dans #Visites et rencontres

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