Un nouveau distillateur à Kourientine
Publié le 14 Décembre 2024
2024 s’achève… Encore une année qui est passée sans qu’on s’en aperçoive ! Et je m’aperçois également que je ne vous ai pas donné de nouvelle depuis décembre dernier… honte à moi ! Pourtant, nous n’avons pas chômé et cela va être difficile de rattraper le retard dans un seul article. Peut-être y en aura-t-il 2… avant la fin de l’année prochaine !
Je vous avais donc laissé sur un dernier article décrivant le développement de notre activité de production d’huiles essentielles au village, et du partenariat avec l’Institut de Technologie Alimentaire (ITA) de Dakar, l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, et l’Université Gembloux Agro-Bio tech en Belgique, à travers le projet ARES : « Gestion des pertes Post-récoltes par l’utilisation de bio pesticides à base d’huiles essentielles pour la durabilité de la sécurité alimentaire au Sénégal et en Afrique de l’Ouest ».
Ce projet, d’une durée de 5 ans et financé par l’Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur de Belgique, comporte plusieurs composantes :
- une composante « Recherche » : incluant 3 thèses de Doctorats et plusieurs stages de Master, afin d’étudier les différentes facettes de ce projet : sélection des plantes aromatiques, analyse des huiles essentielles, efficacité des huiles essentielles sur les ravageurs des récoltes, impact socio-économiques… et ceci sur plusieurs sites tests sélectionnés au Sénégal.
- une composante « Accompagnement des communautés locales » : afin d’aider les femmes à générer de nouveaux revenus via la production d’huiles essentielles, mais aussi d’aider les agriculteurs à intégrer l’utilisation des plantes aromatiques et des huiles essentielles de manière simple dans leurs pratiques agricoles.
Compte tenu de notre expérience préalable en production d’huiles essentielles, nous avons la chance d’avoir été sélectionnés à la fois comme l’un des sites d’étude du projet, et comme groupement de femmes partenaire. C’est ainsi que notre GIE Djikke Mera Gemmu a pu bénéficier en cette fin d’année d’une dotation d’un nouveau grand distillateur et d’une formation de 3 jours afin d’apprendre à dompter la bête… bien plus grande que le petit distillateur de 30L auquel je suis habituée !
Remise du distillateur au GIE Djikke Mera Gemmu par l’ITA de Dakar, lors de la formation à Kourientine le 04/11/2024.
Nous avons donc accueilli début novembre une mission de l’ITA de Dakar, composée du Dc Serigne Mbacke Diop, Chercheur à l’ITA, et de Madeleine Diouf, Doctorante en Entomologie à l’TA et à l’Université Gembloux Agro-Bio Tech.
Serigne est le magicien qui a réussi à fabriquer les 5 premiers distillateurs 100% made in Sénégal. Nous avons même l’immense honneur de recevoir le tout premier distillateur fabriqué ! Enfin, Serigne précise : le tout premier prototype fonctionnel ! Car il aura fallu plus d’un an de travail acharné avec les artisans locaux afin d’obtenir une machine satisfaisante.
Madeleine, qui commence tout juste son Doctorat, est venue en renfort pour la formation, mais aussi pour réaliser les premières enquêtes auprès des agriculteurs afin d’identifier les ravageurs des cultures locales ainsi que les pratiques traditionnelles de luttes contre ces derniers.
Au passage, vous remarquerez que la formation se déroule dans un bel endroit dont je ne vous ai pas encore parlé : il s’agit de la Maison des Femmes de Kourientine, dont la construction est pratiquement achevée et que nous avons étrennée à cette occasion. Ce projet a quant à lui été réalisé par l’Association Nawari Kourientine, avec le soutien de La Guilde, de la Fondation Yves Rocher, du Département du Finistère, du CES Thalès Brest, du Rotary d’USSEL et du District 1740. Un article sera bien sûr consacré à cette belle réalisation, qui offre aujourd’hui aux femmes du village un lieu de travail adapté à leurs différentes activités de transformation des produits naturels.
L’Agora de la Maison des femmes, un espace de travail ouvert, mais aussi un lieu de réunion et de formation.
Les éléments du distillateur
Commençons tout d’abord par vous présenter le distillateur, composé de plusieurs éléments dont toutes les parties en contact avec les huiles essentielles sont en inox :
- un alambic en inox de 210L, incluant à mi-hauteur une grille en inox sur laquelle seront posées les plantes (la capacité de charge est donc d’une centaine de litre). L’eau est versée directement dans la cuve, car dans ce premier prototype il n’y a pas de possibilité de connexion avec une chaudière à vapeur.
- un réfrigérant de 75L muni d’un serpentin en inox et de 2 robinets : un robinet de collecte de l’hydrolat et des huiles essentielles, et un robinet de vidange.
- un bruleur à gaz, mais il est également possible de faire fonctionner le distillateur au feu de bois.
Nous avons également reçu un broyeur, du matériel de laboratoire pour le transfert des huiles essentielles et des flacons de conditionnement.
L’alambic est une grande cuve : l’eau est versée au fond jusqu’en dessous du niveau de la grille, les plantes sont ensuite ajoutées sur la grille. Le couvercle est relié à un tuyau par lequel s’échappe la vapeur chargée d’eau et d’huile essentielle.
Le réfrigérant est rempli d’eau à température ambiante. La vapeur (eau et d’huile essentielle) passe à l’intérieur du serpentin par le haut et se refroidit en descendant dans le bain d’eau « fraîche ». Bien entendu, l’eau de refroidissement n’est pas contact avec la vapeur. Une fois condensés, l’hydrolat et l’huile essentielle sortent par le robinet au bas.
Le distillateur en fonctionnement sur le brûleur à gaz. Il faut bien entendu mettre un récipient sous le robinet du serpentin pour colleter le mélange d’hydrolat et d’huile essentielle !
Les plantes distillées pendant la formation
Pour ces 3 jours de formation, nous avons sélectionné 4 plantes à distiller en fonction de leur disponibilité à cette saison, de leur abondance et de leur pertinence vis-à-vis de la recherche de bio-pesticides.
1. L’hyptis suaveolens
Cette lamiacées sauvage est naturellement présente est très grande quantité autour du village. La fin de la saison des pluies correspond justement à sa période de floraison. Il s’agit de la plante aromatique sauvage la plus abondante chez nous, ce qui un atout de notre zone.
Traditionnellement, les femmes utilisent la plante brûlée comme anti-moustique dans les cases. Effectivement, l’huile essentielle d’Hyptis suaveolens est connue pour ses propriétés insectifuges, mais aussi antibactériennes. Nous la produisons depuis plusieurs années, et nous l’utilisons dans un baume anti-infectieux que certains connaissent sous le petit nom de « Bobo Baume ».
L’hyptis suaveolens a déjà fait l’objet d’études au Sénégal et son action de protection des récoltes contre les insectes a été prouvée, d’où son intérêt dans le cadre du projet ARES.
Parties distillées : Tiges, feuilles, fleurs.
L’hyptis suaveolens est une herbacée qui peut atteindre 2 à 3 m de haut. Elle se développe particulièrement bien le long des pistes, en bordure des champs et dans les jachères. Elle est fortement mellifère et les abeilles produisent à cette saison un miel typique et piquant !
La composition de l’huile essentielle d’Hyptis suaveolens est assez variable selon les zones géographiques, mais on retient généralement sa richesse en Sabinène, une molécule qui lui procure des propriétés insectifuges et antibactérienne.
La verveine blanche est un petit arbuste rustique aux longues branches flexibles qui tombent au sol et qui se marcottent très facilement. Très simple à cultiver, elle se développe rapidement et résiste très bien aux fortes chaleurs.
La verveine blanche a été multipliée par bouturage tout au long de l’année, puis plantée autour de la maison des femmes pendant l’hivernage. Les plants forment aujourd’hui de beaux buissons appréciés par les papillons et les abeilles.
La menthe bergamote ressemble à la menthe poivrée, mais n’en possède pas les caractéristiques aromatiques. Elle se développe très bien chez nous et se bouture avec un taux de réussite de quasi 100% !
La Menthe bergamote a été multipliée par bouturage puis plantée dans un « cercle de menthe » grillagée, près du puits, afin que les femmes puissent l’arroser sans difficulté pendant la saison sèche.
Mentha x citrata en fleur au mois de septembre… il est très rare de voir des menthes en fleurs ici au Sénégal !
Le poivrier de Guinée, appelé Diar au Sénégal, se trouve dans les zones humides du Sud du pays car il a de forts besoins en eau. Je pense qu’il pourrait très bien se développer chez nous grâce à la proximité du fleuve, même si dans ce cas les arbres seraient moins grands.
Les gousses à moitié séchées ont été pilées au mortier afin de faciliter la distillation, puis grossièrement tamisées. Les grosses fibres ont été placées en premier sur la grille afin de former une couche dense pour ne pas que la poudre tombe dans l’eau de la cuve. La poudre et les graines ont été rajoutées par-dessus
Les étapes de la distillation
1. Le pesage des plantes
La première étape consiste à peser les plantes mises dans la cuve afin de pouvoir calculer le rendement de la distillation. Ce rendement nous permettra de comparer la richesse en huile essentielle des différentes plantes distillées, mais aussi d’améliorer les performances des distillations pour une même plante en fonction de différents paramètres (degré de séchage des plantes, période de récolte…).
Dans le cadre de cette formation, nous avons travaillé directement à partir de plantes fraîches récoltées le jour même, sauf pour le Xylopia (sac de gousses mi séchées). Pour les plantes « feuilles », nous avons facilement pu charger plus de 10kg de masse fraîche.
L’huile essentielle et l’hydrolat sortent mélangés à l’état liquide, par le robinet du bas du serpentin.
Il faut délicatement tourner le petit robinet pour ne récupérer que l’hydrolat… et savoir s’arrêter avant l’huile essentielle, sans se tromper de sens en fermant le robinet ! Pas de problème pour Fatou Lemme.
Certaines femmes sont visiblement plus à l’aise que d’autres… Diary manque de tout faire tomber dans la bouteille d’hydrolat !
Les rendements
Lors de la formation, nous avons pu réaliser 5 distillations, 1 pour chaque plante sauf pour la menthe bergamote dont nous avons fait 2 distillations. Les volumes obtenus sont les suivants :
Les rendements des plantes « feuilles » (menthe, verveine, Hyptis) sont assez faibles, ce qui est généralement le cas, surtout avec des végétaux frais (riches en eau). La verveine blanche présente toutefois un rendement intéressant par rapport aux lamiacées. L’Hyptis suaveolens est quant à lui bon dernier… la rentabilité des distillations est donc très différentes, et compte tenu de la forte consommation d’énergie du distillateur, il faudra bien calculer le coût avant de se lancer dans les distillations.
Cependant il n’y a pas que l’argent dans la vie, et les bénéfices de l’extraction peuvent heureusement aussi se mesurer dans l’utilisation des huiles essentielles elles-mêmes sans oublier la valorisation des hydrolats. Si l’Hyptis s’avère être une plante intéressante pour ses vertus insecticides/fuges, alors la distiller aura tout son sens malgré le faible rendement, d’autant plus que nous avons la quantité à portée de main. Il est aussi possible d’améliorer les rendements en faisant sécher la plante à un certain degré. Bref, il reste du travail !
En tout cas le grand vainqueur est sans conteste le Xylopia aethiopica dont le rendement est clairement au-dessus de tous les autres. Et compte tenu de son potentiel d’utilisation en cosmétique, la production d’huile essentielle de Xylopia est clairement intéressante. Il faut cependant savoir ou se fournir en fruit, voire trouver des graines pour tenter à long terme une production locale.
Fatou Soukho, Présidente du GIE Djikke Mera Gemmu, présente l’huile essentielle de Xylopia extraite à partir d’une seule distillation… impressionnant non ?
Comparaison de nos deux distillateurs
Notre groupement dispose donc à présent d’un 2e distillateur aux capacités bien plus adaptées à notre capacité de production : avec 4 fois plus de capacité de charge, nous pourrons distiller bien plus qu’avec notre petite cuve de 30L. Ce sera très appréciable pour des plantes que nous avons en grande quantité, comme l’Hyptis suaveolens.
Il est vrai que cette machine ne se manipule pas facilement, en tout cas pas tout seul, vu son poids et son encombrement. Mais son utilisation est plus simple que le distillateur auquel je suis habituée : les femmes arriveront beaucoup plus facilement à distiller, sans craindre de casser de la verrerie couteuse et irremplaçable localement !
Voici un petit tableau comparatif des avantages/inconvénient de nos 2 distillateurs. Tous deux permettent une distillation à la vapeur, mais fonctionnent de manière différente. Ils nous permettront de mieux rentabiliser nos distillations en choisissant la meilleure machine selon l’espèce à distiller, sa quantité, son degré de séchage, etc…
En conclusion…
Je retiendrai de ces 3 jours la bonne ambiance de l’équipe, la motivation de Madeleine (quel plaisir de voir une jeune sénégalaise passionnée accéder à ce niveau d’étude), la participation des femmes malgré les travaux des champs, l’intérêt des hommes pour les activités menées par les femmes. Quelle joie de faire partie de ce projet original qui va dans le même sens que toutes les activités que je mène au village depuis des années : un projet qui réunit les plantes, les femmes et les hommes, le besoin d’autonomie alimentaire, et la santé en luttant contre l’utilisation des pesticides.
Je souhaite donc bonne chance aux 3 jeunes doctorantes et à tous les autres étudiants qui participent à ce projet… et j’attends avec impatience les résultats de leurs recherches !