De retour dans le Boundou… Apiculteur un jour, apiculteur toujours !
Publié le 20 Janvier 2025
Tout commença un soir d’automne dans la brousse de Koussan il y a maintenant bien longtemps…
Abdoulaye, mon guide à l’époque, voulait épater la jeune volontaire fraîchement débardée de France que j’étais, en m’emmenant récolter du miel dans un baobab proche du village. Appâtée par l’envie de tartiner mon pain de miel sauvage (oui, je mangeais encore du gluten en ce temps-là, c’était une autre vie !), et toute excitée par l’aventure que cela représentait, je suivis Abdoulaye en pleine nuit, sans combinaison, sans matériel et sans réfléchir…
Evidemment, récolter une colonie d’abeilles sauvages de manière traditionnelle demande d’autres préparatifs : torche enflammée et coupe-coupe ! J’ai donc observé avec effroi Abdoulaye et un vieil apiculteur chasser les abeilles à l’aide de leur torche enflammée et entailler l’intérieur du baobab pour accéder au trésor. Un vrai carnage, mais qui aura au moins eu comme conséquence d’attiser ma curiosité pour les abeilles et le métier d’apiculteur.
C’est donc dans le cadre des actions de développement de la Réserve Naturelle Communautaire (RNC) du Boundou que j’ai découvert l’apiculture aux côtés des populations locales. Après une première formation d’un groupe de 25 apiculteurs en 2010, une centaine de ruches fut installée dans différents sites de la réserve. Au fil des années, les formations se poursuivirent, le nombre d’apiculteurs augmenta et le miel du Boundou commença à se faire connaître localement.
Premières bouteilles du miel « Limbam Boundou », le miel pur du Boundou. Admirez la diversité du miel récolté le même jour dans un même rucher !
5 ans plus tard, à la fin de mon volontariat dans la RNC du Boundou, ma décision était prise : j’allais faire une formation en apiculture et revenir m’installer, quelque part en brousse, dans un petit coin tranquille que j’avais repéré justement grâce à mes amis Bocar Sow et Mame Mor Fall… Kourientine !
Je perdis alors le contact avec les apiculteurs du Boundou pendant un temps. Ce n’est que récemment que le CORENA, le Conservatoire de la RNC du Boundou, me demanda de faire un état des lieux de l’activité apicole dans la réserve. Je partis donc à plusieurs reprises dans la réserve en 2024, pour visiter les différents ruchers et rencontrer les apiculteurs.
Ruches encore en activité en 2024 : ces ruches en bois de Cordyla pinnata n’ont pas bougé depuis tout ce temps ! Et certaines colonies ne sont jamais parties en 15 ans !
Bien sûr, j’ai été très contente de retrouver certaines personnes que je n’avais pas vues depuis si longtemps, de revisiter des lieux connus et de revoir les abeilles du Boundou. Il y eut, comme pour tout projet, des points positifs mais aussi des échecs. Des apiculteurs qui ont continué, et d’autres qui ont arrêté. Des ruches qui étaient bien peuplées, et d’autres qui n’en avaient plus… ou qui étaient cassées… ou qui n’étaient plus là du tout ! Des apiculteurs qui récoltent encore chaque année et d’autres qui ne font que regarder leur ruche en prétextant de bonnes et de moins bonnes excuses (combinaisons trouées, voyages, vieillesse…). Bref, un savant mélange de bon et de moins bon.
Evidemment, il faut saluer la performance d’un apiculteur en particulier : Kémoko Cissokho de Gonguédji. Seul apiculteur traditionnel de la RNC au début du projet apicole, il a non seulement su conserver ses propres ruches, mais il a aussi pu récupérer celles abandonnées par les autres apiculteurs de son village. D’année en année, il s’est fait connaître comme un apiculteur sérieux qui produit du bon miel. D’ailleurs, il récolte encore avec sa toute première combinaison (message subliminal aux apiculteurs qui râlent en disant que leur combinaison est trouée au bout d’une seule utilisation...). Cerise sur le gâteau, Kemoko aide les apiculteurs des ruchers proches de son village, et transmets ses connaissances à son fils. Enfin un vrai apiculteur professionnel !
15 ans plus tard, Kémokho est l’apiculteur le plus dynamique de la réserve et il transmet ses connaissances à son fils Moussa, âgé de 15 ans !
Sans avoir la prétention de rivaliser avec le grand Kémoko, d’autres apiculteurs nous ont aussi touchés par leur persévérance et leur motivation malgré leurs résultats mitigés, notamment à Didé et à Talibadji. Nous avions créé à l’époque le GIE Limbam Boundou afin de regrouper tous les apiculteurs de la RNC du Boundou. Bien que le GIE ne soit pas dynamique, son président Shérif Kénéma est toujours là malgré son grand âge.
Shérif Kénéma, Président du GIE Limbam Boundou, avec Jean-Roch Ferté, Apiculteur du Syndicat Apicole Dauphinois
Suite à cette évaluation, le CORENA a souhaité relancer l’activité apicole dans certains sites de la RNC du Boundou. Une douzaine d’apiculteurs parmi les plus actifs ont été sélectionnés pour une formation complémentaire et une dotation de nouvelles ruches. C’est la semaine de Noël que je suis donc retournée en tant que formatrice dans la RNC du Boundou, et plus précisément dans les villages de Gonguédji, Talibadji et Didé.
L’objectif de cette formation était de transmettre aux apiculteurs des connaissances et des savoir-faire que j’ai moi-même acquises au fil de ma propre expérience apicole, et de présenter la ruche kenyane dont j’ai modifié quelque peu les dimensions pour être mieux adaptée à nos colonies et nos conditions locales.
Au menu de la formation :
- Fabrication d’amorces de cire avec ma méthode de la marmite (expliquée ici)
- Protection du bois à l’aide d’un cirage naturel
- Utilisation d’un séparateur
- Choix d’un bon rucher, aménagement et entretien.
Une ruche kenyane est une ruche à barrettes à développement horizontal, qui a la caractéristique d’avoir une section trapézoïdale avec des angles de 120° qui épousent la forme naturelle des rayons de cire construits par les abeilles. Cela dissuade les abeilles de coller les rayons à la paroi, et donc facilite les manipulations. Une autre mesure obligatoirement respectée est la largeur des barrettes de 32 à 33mm, ce qui correspond à la distance intercadre des abeilles africaines, en l’occurrence Apis mellifera adansonii.
En dehors de ces mesures obligatoires, de nombreux paramètres peuvent varier. La ruche kenyane que j’utilise maintenant a pour caractéristiques :
- 25cm de hauteur seulement : les rayons sont plus petits, donc moins lourds, donc moins susceptibles de s’effondrer lors des fortes chaleurs.
- 25 barrettes + 1 séparateur : la ruche est moins longue, donc dispose d’un volume moindre, plus adapté à la taille des colonies d’Afrique de l’Ouest (plus facile à surveiller, à refroidir ou réchauffer). Le séparateur, déplaçable selon les besoins, laisse un petit passage par le bas et peut généralement faire office de grille à reine.
- Les barrettes reposent sur le bord des parois coupées en biais, afin de limiter les risques d’écrasement des abeilles
- Le toit est légèrement surélevé, afin là encore d’éviter l’écrasement des abeilles
- Les entrées sont de petits trous, afin de limiter l’intrusion des prédateurs/parasites/squatteurs
Huilage des ruches (extérieur) à l’aide d’un mélange d’huile de soja et de cire d’abeille (Gonguedji)
Cette semaine dans le Boundou fut globalement un très bon moment, passée en bonne compagnie, avec des apiculteurs motivés et prêts à partager leurs connaissances avec d’autres. Si le fils de Kémoko était déjà acquis à la cause, la formation a été l’élément déclencheur pour impliquer d’autres personnes plus jeunes. A Talibadji, le groupe d’apiculteurs existant a convenu qu’ils n’étaient plus en capacité de réaliser tout le travail physique que représente cette activité, et a accepté de collaborer avec de nouveaux apiculteurs débutants. A Didé, c’est le jeune fils de Massirin qui s’est intégré au groupe de sa propre initiative, et qui a suivi tous les ateliers pratiques de la formation avec une curiosité et une vivacité bien plus grande que celle de ses aînés ! Une vocation est-elle née ?
Le virus de l’apiculture a peut-être été plus loin qu’espéré, en piquant l’intérêt même de l’équipe du CORENA, Moussa et Noba, qui furent mes assistants pendant toute la mission avec une motivation exceptionnelle… qui sait si ces deux-là, comme moi à l’époque, ne finiront pas par installer des ruches chez eux !
Le jeune fils de Massirin à Didé, Dembani, qui a participé avec un grand intérêt à toutes les étapes de la formation !
La dernière journée de la mission fut consacrée à un atelier de transformation des produits de la ruche, destiné cette fois-ci aux femmes. Les présidentes des 8 GIE étaient donc présentes pour découvrir la fabrication d’un baume à la cire d’abeille. Non seulement c’était l’occasion de leur montrer qu'elle pouvaient valoriser un produit apicole souvent jeté par les apiculteurs, mais aussi de leur faire découvrir qu’elles pouvaient aussi fabriquer des huiles végétales à partir de leurs propres productions… un atelier court, mais qui aura j’espère mis tout le monde en appétit pour la suite : récolte de graines de Moringa et de Sump, pressage à froid d’huiles végétales, macérâts huileux… tant d’opportunités à portée de main !
Ce fut également pour moi l’occasion de partager des connaissances et des expériences sur l’alimentation (quels aliments sont sains, et lesquels ne le sont pas), et la santé (vertus thérapeutiques de certaines plantes). Les femmes présentes ont été très réceptives, faisant le rapprochement avec ce qu’elles avaient appris par ailleurs lors d’autres formations avec d’autres projets… eh oui, car tout est lié, et la transformation des produits locaux ouvre la porte à tout un champ de possibilité.
Alors, la suite l’année prochaine, ou la suivante… enfin j’espère dans moins de 15 ans cette fois !